Fugace

By elonaballon

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« Dans chaque cœur résonne l'amour de la liberté. » Aislinn, membre d'un comité culturel, est prise en otage... More

Fugace
Avant-goût
Chapitre un
Chapitre deux
Chapitre trois
Chapitre quatre
Suspension
Chapitre cinq
Chapitre six
Chapitre sept
Chapitre huit
Chapitre neuf
Chapitre dix
Chapitre onze
Chapitre douze
Chapitre treize
Chapitre quatorze
Chapitre quinze
Chapitre seize
Chapitre dix-sept
Chapitre dix-huit
Chapitre dix-neuf
Chapitre vingt
Chapitre vingt-et-un
Chapitre vingt-deux
Trêve du cadran
Chapitre vingt-quatre
Chapitre vingt-cinq
Chapitre vingt-six
Chapitre vingt-sept
Chapitre vingt-huit
Chapitre vingt-neuf
Bulle
Aparté
Chapitre trente
Chapitre trente-et-un
Épilogue
Un mot pour la fin ?

Chapitre vingt-trois

160 28 94
By elonaballon

Aislinn

Angleterre, 9 mars 2018

Tic, tac. Tic, tac.

L'heure tournait, mais je doutais que cela ait encore de l'importance. Reverrais-je Edwige un jour ? Rejoindrais-je mon grand-père défunt ? Aurais-je l'occasion – une dernière m'irait – de remercier mes parents, de leur rappeler à quel point je les aimais et que sept ans d'absence ne rimaient à rien dans une vie ?

À mi-conscience entre le rêve et la réalité, je revis mon parcours comme si mon heure approchait.

1997, l'année de ma naissance. 2009, celle où j'avais cessé de vivre auprès de mes parents, Ruth et Kipling Smith, deux accros du travail mutés à une heure et demi environ de Northmoor Green, à Bristol, loin de notre petit coin de campagne où je m'étais toujours sentie chez moi.

Demeurais-je sous l'effet de l'anesthésiant ? Me laissais-je bercer par un rêve tout ce qu'il a de plus doux et rassurant ?

Je me rappelais la cuisine excellente de ma grand-mère, les fringues de Grant qui revenaient à la mode et que je ne cessais de lui piquer, les anecdotes de guerre qu'il me racontait le soir après m'avoir bordée et nos interminables parties de jeux de société.

Nous passions des heures à contempler le renversement des astres et à flâner dans les librairies en quête d'un bouquin à lire au pied de la cheminée. Grant aimait dire que je leur avais rendu la vie. Ils retrouvaient une seconde jeunesse et moi, l'amour d'un père et d'une mère.

Edwige et lui ne s'étaient jamais gênés pour me dire les choses telles qu'ils les pensaient. Bien sûr ils n'avaient pas la science infuse, je devais me forger mes propres opinions, mais en grandissant à leurs côtés j'avais hérité de leurs valeurs : bienveillance, respect et tolérance.

J'avais des rêves plein la tête, mais j'avais refusé de quitter le foyer quand Grant était décédé en 2016. J'avais dix-neuf ans. Je me devais de soutenir Edwige dans cette épreuve, d'autant plus vu son legs : une ferme en piteux état que Grant et elle n'avaient pas terminé de rénover.

Je n'aimais personne plus qu'eux. L'amour que je leur vouais était immuable. Ils m'avaient inculqué que la beauté de la vie résultait de son éphémérité, des instants suspendus hors du temps qui nous ramenaient à nos plus profondes aspirations, nous apprenant, avec subtilité, à ne nous concentrer que sur l'essentiel.

L'important perdurait quand le vide de sens se dissipait. Ce qui fut n'était désormais plus : les choses ou les gens allaient et venaient dans un flot continu, poussés par les aléas de l'existence. À mon goût, c'était ce qui la rendait aussi palpitante.

*

Des coups de feu me tirèrent de mon inertie. La nuit tombait sur l'ancien bagne, revêtant les cieux d'un voile aussi opaque qu'effrayant. Il faisait si froid que le peu de tissus que je portais, depuis le premier jour, gelait en contrecoup de l'averse récente.

Mon nez coulait. J'étais incapable d'effectuer le moindre mouvement, même si cela signifiait de bouger mes doigts. Ma plaie avait cessé de me tirailler depuis que Saveria nous avait forcés à sentir son remède miracle...

Une seconde. Des coups de feu ?

Je me redressai vivement. De toute évidence, Hosana cherchait à me réveiller depuis un moment. Elle se tenait allongée près de moi, tirant de toutes ses forces sur ses chaînes. Un mètre nous séparait l'une de l'autre. Son regard exprima un grand soulagement quand il rencontra le mien.

— Aislinn ! souffla-t-elle au bord des larmes. On n'a pas beaucoup de temps.

— Quoi ? Mais... Qu'est-ce qu'il se passe ?

Des frissons recouvrirent ma chair. Mes poils se dressèrent. Mon cœur rugissait comme un fauve au fond de ma poitrine. Je regardai autour de moi : aucune trace de Vassilis ou de ses sbires.

— La police a encerclé le bâtiment !

— On est sauvés ? m'écriai-je presque en la saisissant par les épaules.

— Non, Aislinn, nous... Non !

Je fronçai les sourcils.

— Attends, calme-toi...

Au-delà des murs de la prison résonnaient des éclats de voix. De nouveaux tirs fendirent l'air. L'assaut avait été donné. Les gardiens de la paix tentaient d'abattre la cloison de fer. Au-dehors, des hommes se battaient pour nous sauver.

— On va sortir d'ici, promit Hosana en maîtrisant tant bien que mal les sanglots qui lui obstruaient la gorge. Ne me lâche pas d'une semelle. On ne doit se séparer à aucun moment, tu entends ?

— Tu me fais peur... Dis-moi la vérité, dis-moi ce qu'il se passe.

— On ne vit pas dans le monde que tu idéalises. Vassilis est dangereux, il a torturé Damian. On doit le retrouver avant qu'il ne remette la main sur lui. Je ne sais pas jusqu'où il serait capable d'aller pour assouvir sa vengeance, j'ignore...

Hosana poursuivit son monologue, mais je ne l'écoutai plus. L'aiguille sur mon cadran défilait. La porte ne cédait pas. Je ne voyais rien, je ne pouvais me fier qu'à ce que j'entendais : des cris de guerre, irrévocables appels à la justice.

Comme moi, tous les membres du comité les percevaient. De nouveau, leurs regards brillaient d'espoir.

— Vittoria et les autres croient pouvoir s'en sortir aussi facilement... Mais ce n'est pas mon cas.

— Hosana, ne fais pas ça.

Elle me lança un regard sans appel. De ses ongles incrustés de crasse, elle balaya sa chevelure emmêlée sur le côté. Je distinguai ses côtes sous son haut déchiré. Ses clavicules ressortaient plus que d'ordinaire, tout comme ses cernes creusés.

— Je refuse de mourir ici, articula-t-elle. Ouvre les yeux ! Vassilis t'a tiré une balle dans la cuisse, il a battu Violet et...

Elle hurla de douleur. Je me précipitai près de son corps affaibli. Elle s'était volontairement déboîtée les pouces afin de glisser ses mains hors des menottes. J'étais aussi troublée par sa force d'esprit que par les avertissements qui continuaient de s'élever à l'extérieur de notre tour d'ivoire. Comment pouvait-elle s'infliger pareille souffrance ?

Libérée de ses chaînes, Hosana se rua sur la mallette délaissée par terre, près des palettes en bois. Elle en extirpa divers outils tâchés d'hémoglobine. Un haut-le-cœur me souleva, je pris sur moi pour conserver mon sang-froid.

— Pose tes mains à plat et écarte-les. Ne bouge pas tant que je ne t'en ai pas donné l'autorisation, d'accord ?

Je hochai la tête, obéis, puis fermai très fort les yeux. Mon cœur loupa un battement, une goutte de sueur glissa le long de ma tempe. Mes bracelets de fer se délièrent quelques secondes plus tard, cisaillés en deux. Un soupir m'échappa.

— Prends la porte de secours par laquelle vous êtes entrées avec Saveria tout à l'heure, longe le couloir et cache-toi dans la quatrième cellule en partant de la droite. Je t'y rejoindrai avec Damian...

— Et les autres ? demandai-je en sentant mon estomac remuer sous l'appréhension.

— Je m'en occupe. Je me charge de tout, Aislinn. Tu dois seulement me faire confiance et respecter mes instructions à la lettre.

— Où est Vassilis ? Où sont ses complices ?

— Dans l'aile ouest, ils correspondent avec la police. On n'a pas de temps à perdre, file !

Je lui jetai un dernier regard pour m'assurer qu'elle tiendrait le coup. Puis je courus à l'opposé du rooftop, le cœur battant et les jambes tremblantes. À cet instant, je ne pensais plus à rien – pas même à mes proches. Je devais sortir d'ici vivante. Pour cela, il me fallait user de la plus grande des prudences.

Dans l'obscurité du couloir étroit, je me faufilai sur les passerelles reliant les cellules aux cages d'escaliers. Je faillis chuter dans le vide quand un bout de ferraille céda sous mon poids. Mon souffle s'écourta, mes jambes me tirèrent. Je ne stoppai ma course que lorsque je parvins à la destination finale.

Pas un homme ne régnait au cœur de l'asile. Pas un bruit ne rompait le silence oppressant qui m'entourait, hormis mes halètements discrets.

À l'affût du moindre mouvement, je refermai la porte derrière mon passage, m'immobilisant contre celle-ci. Alors, mes yeux rencontrèrent la rudesse et la froideur de la pièce, meublée d'un unique sommier et d'un radiateur rouillé. Le mur en briques semblait décrépi, répandant ses morceaux sur le sol poudreux. Une tuyauterie obsolète l'arpentait. Des lampadaires brisés pendaient du plafond criblé par endroits. Aussi, maints débris jonchaient le sol. Des rats envahirent la cellule tandis que des insectes s'infiltraient dans mes narines dès que j'inspirais.

Cauchemardesque était cette vision de ruines. Quoi qu'on ait pu en dire, nombre de criminels avaient été clandestinement incarcérés dans cette prison de haute sécurité. Les traces de vie qui perduraient en ces lieux chargés de violence en attestaient. Certains y avaient-ils péri, exécutés par leurs bourreaux ?

Je poussai précautionneusement le battant de la cloison. Je plissai les yeux et entrevis des courbes féminines. Mon pouls se stoppa.

Il ne s'agissait pas d'Hosana.

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