La Tour d'Ivoire - Tome 2

L'éclat d'un souvenir

"On peut faire beaucoup avec la haine. Mais encore plus avec l'amour."

William Shakespeare

Ayaan

Un mois. Cela faisait maintenant un mois qu'elle était partie. Un mois sans voir son sourire, sans entendre son rire cristallin, sans apercevoir cet éclat si particulier qui illuminait ses yeux lorsqu'elle parlait avec Iris. Même son arrogance lui manquait, la manière qu'elle avait de le repousser, de le fusiller du regard. Même sa haine et son dégout à son égard lui manquaient.

            Ayaan Malkam n'aurait jamais pensé ressentir cela, ce déchirement lancinant dans la poitrine, ces sueurs nocturnes qui précédaient les innombrables rêves où il la voyait. Parfois elle lui souriait, il lui arrivait même de l'embrasser, et dans d'autres, elle le maudissait, mais les pires restaient ceux où il la tenait dans ses bras, une auréole écarlate au niveau du cœur. Il frissonna. Jamais il ne pourrait supporter sa mort. Jamais. Rien ne saurait combler le vide que son absence lui causerait. Il préférait encore perdre sa trace et ne jamais la retrouver que de la savoir morte.

            Le prince Ayaan n'avait jamais autant voulu préserver la vie de quelqu'un. La vie tout court. Il n'avait jamais été de ceux, comme sa bien-aimée, qui considéraient chaque vie comme précieuse. Pour lui, il n'y avait qu'une seule âme sur cette maudite planète qui méritait de vivre, et il l'avait perdu.

            Jamais il n'abandonnera. Il continuerait jusqu'à ce qu'il puisse à nouveau sentir son corps contre le sien. Jusqu'à sa propre mort, s'il le fallait. Il aurait voulu lui dire tout ça avant, il aurait dû... Oh, il lui avait bien déclaré son amour, mais en réalité, aucun mot ne saurait décrire ce qu'il ressentait pour Era Eléazar. Impossible de quantifier le désir qui le submergeait quand elle apparaissait dans son champ de vision, impossible de comprendre la fascination que cette jeune femme exerçait sur son âme brisée et viciée. Elle méritait surement mieux que lui, mais qu'importe, il la voulait, et il l'aurait. Tôt ou tard.

            Son père se moquerait de « cet excès de sentimentalisme », comme il dirait. Mais ce que pensait son père n'avait plus la moindre importance, Ayaan avait passé toute sa vie à essayer de lui plaire, à exaucer ses moindres désirs, il était allé jusqu'à tuer pour lui, à de nombreuses reprises. C'était fini. Bientôt, le prince de la Tour d'Ivoire sera son seul maître, personne ne lui dira plus ce qu'il doit faire. Il tuera, torturera, trichera, mentira, aimera, comme lui l'entendait. Il se promit d'être un dirigeant, un roi, un empereur, qu'importe, encore plus légendaire que son père, plus effrayant, plus respecté (si c'était possible) et à ses côtés ; une femme qu'il aimait plus que tout au monde, une femme radicalement opposée à sa propre personne.

Il était encore plongé dans ses sombres machinations lorsqu'il entendit un coup sec frappé à sa porte.

            -Oui, entre, cria-t-il.

            Il jura, mais ne fit pas mine de se relever. Il était avachi sur un de ses luxueux fauteuils recouverts de soie noire et azur, un verre d'alcool à la main. Il avait récemment découvert les vertus de cette boisson, lui qui ne s'y était jamais vraiment intéressé avait trouvé dans ce breuvage amer un ami particulièrement fidèle, bien qu'il soit aussi vicieux et dangereux que la personne qui venait d'entrer dans sa chambre.           

            Leur chambre. Celle d'Era et la sienne. Il n'avait pas voulu revenir dans ses appartements, chez ses parents. Même si cet endroit lui rappelait Era et la promesse que leur mariage avait apportée en lui, il ne pouvait quitter leur palais. Mais le pire restait le jardin de fleurs violettes, y aller était comme un plongeon dans ces yeux couleur lilas, il ne pouvait le supporter. Bien qu'il n'avait pas eu le courage de faire détruire le jardin, il n'avait pas non plus pu se résoudre à s'y rendre. Son cœur ne le supporterait tout simplement pas.