La Tour d'Ivoire - Tome 2

Etendard sanglant - Partie II

"I've seen the devil more than I've seen god."

Auteur inconnu

{ La Tour continuerait de détruire des vies, des familles, et elle s'étendrait, annihilerait le bien et la beauté. Combien de temps restait-il avant qu'ils ne massacrent Ceux d'En bas ?. Il ne restait plus de temps. C'était fini. }

(...)

Leur dernier acte aura été de sauver Lévana Sildek, de l'entrainer, d'en faire une mine d'information à destination des terres libres qui s'étendaient hors de ces murs d'ivoire. Elle était le salut. Elle connaissait tout de la Tour, elle était une arme puissante.

Irone n'avait pas parlé. Elle avait été la seule. La seule à avoir eu cette zone cachée au fond de sa tête, cette zone où elle s'était réfugiée, où elle était devenue insensible à ce qui l'entourait. Un coup de chance. Elle aurait pu tout avouer. Elle ne l'a pas fait.

-Aujourd'hui, continua Ayaan. Les derniers d'entre eux mourront.

Il avait tort. Ils n'étaient pas tous morts. Mais qu'est-ce que cela changeait à présent ?

Elle observa attentivement le prince Ayaan. Il n'avait été obsédé que par une seule chose lors de chaque interrogatoire : trouver la princesse Era Eléazar. Et elle avait compris avec stupéfaction qu'il se fichait éperdument que les Souffleurs de Rêves tombent ou non, tout ce qu'il voulait, c'était celle qui lui avait été donnée pour femme. Celle qui disait aimer. Quel idiot. Il ne l'aimait pas. Cet homme ne pouvait pas aimer.

Irone lui aurait bien donné cette information. Elle aurait pu sauver les siens en échange de cette princesse égoïste et capricieuse. Malheureusement, et c'était bien ce qui la tourmentait le plus, elle ne savait pas non plus où pouvait bien se trouver la jeune fille. Le reste du monde les accusait de l'avoir enlevée, et de l'avoir livrée aux monstres qui vivaient en Bas. Ayaan lui, pensait qu'ils l'avaient aidé à s'enfuir. Elle avait dit la vérité lorsqu'elle avait avoué ne rien savoir au sujet d'Era Eléazar. Pourtant, l'explication d'Ayaan Malkam tenait debout, c'était d'ailleurs la seule possibilité. Jamais Era n'aurait pu s'enfuir seule, pas sans l'aide d'un haut membre de la Tour, donc Ayaan, Galaad, Melech ou Azel, ce qu'aucun n'aurait fait, ou alors... pas sans les Souffleurs de Rêves.

Irone avait alors compris quelque chose qui lui avait glacé le sang. La fuite d'Era avait peut-être bel et bien été menée par des Souffleurs de Rêves, mais elle n'avait pas été mise dans la confidence. Une seule personne aurait pu avoir ce pouvoir. Leur chef en personne. Ce mystérieux personnage aurait sauvé la princesse Era. C'était la seule explication logique, mais elle était invraisemblable. Il n'y avait qu'une seule personne qui avait quitté la Tour et c'était Lévana Sildek.

Les soldats se mirent soudain en place.

Elle sentit des regards la transpercer. À contrecœur, elle tourna la tête à droite. Que c'était cruel de la part des Malkam et des Eléazar d'obliger leur famille à assister à leurs exécutions. Elle aurait tout fait pour leur épargner cela.

Famille était un grand mot. Sa mère, ses oncles et ses tantes ainsi que ses cousins, cousines et grands-parents avaient été assassinés quelques jours après la mort de Daren Desrose. Leur famille ayant été jugée trop dangereuse.

Il n'avait été que trois à être épargné.

Essayant de retenir ses larmes, elle coula un long regard brulant d'amour à son frère et à sa sœur. Aussi roux qu'elle, des yeux couleur bronze, une peau couleur miel parsemée de taches de rousseur. De longs cheveux lisses pour sa sœur, et indomptables pour son frère. Samael et Ilyana, des jumeaux, étaient ce qui lui restait de plus précieux. Et lorsqu'elle vit leurs larmes et leur visage défait, lorsqu'elle entendit leurs sanglots déchirants, elle sentit son armure se fendiller. Irone ne savait pas pourquoi ils avaient tout trois été épargnés après que les Quatre Familles avaient jugé que les Représentants devaient mourir. Mais une chose était maintenant certaine ; Sam et Ilyana ne passeraient pas la nuit. Pas après sa trahison. Son frère et sa sœur ne faisaient pas partie des Souffleurs de Rêves, et jusqu'à aujourd'hui, ils n'en avaient jamais rien su. Mais pour la Tour et le nouveau pouvoir en place, ils représentaient un trop grand danger.

Leur famille avait été entièrement assassinée. À chaque fois sous leurs yeux. Ils pourraient se rebeller, et réclamer vengeance. Les laisser vivre était un trop grand risque pour La Tour.

Elle aurait voulu les protéger, comme elle l'avait fait jusqu'à maintenant. Avant, ils avaient eu une vie facile, fait de fêtes, de belles choses, de soirées entre amis et d'amusement. Ils ne connaissaient rien à la réalité de leur vie. À la tragédie de la Tour. Depuis que leur famille avait été tuée, ils s'étaient enfermés dans un mutisme inquiétant. Elle avait espéré les protéger encore longtemps. Elle avait échoué. Encore une fois.

Incapable d'en soutenir davantage elle détourna la tête et croisa le regard d'une femme qu'elle connaissait bien.

Arianna.

Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Elle pensait qu'elle était morte, elle pensait qu'elle serait tuée en même temps qu'eux.

Mais non.

Azel Eléazar, son jumeau, la tenait par le poignet. La forçant, tout comme ses frères et sœurs, à regarder ce qu'elle avait aidé à créer, s'écrouler sous ses yeux.

Elle aimait beaucoup Arianna. Comme elle, elle avait ouvert les yeux, avait combattu ceux-là mêmes qui représentaient sa famille, son monde. Elle l'admirait.

Elle n'était pas morte. Pas encore. Il restait un espoir.

Elle pleurait elle aussi. Ses boucles blondes cachaient à moitié son visage, mais elle voyait ses yeux marron briller de douleur. Elle les voyait hurler. Hurler de rage, de peine, de chagrin. D'amour. D'amitié. Elles se connaissaient depuis des années, chacune savait ce que dissimulait le cœur de l'autre. Elles avaient combattu et vieilli ensemble.

Irone était soulagée, soulagée de savoir que son amie était en vie, elle savait qu'elle ne mourrait pas. Arianna Eléazar était une étoile. Tout comme sa mère l'avait été. Elles étaient d'une autre trempe, faite pour survivre et vaincre, leur sang était de feu et de glace. Elle connaissait la légende sur les femmes Eléazar, sur leur force et leur vaillance, c'était également pour ça qu'elle savait qu'Era était encore en vie. Ces femmes-là étaient difficiles à tuer. Et encore plus à attraper.

Arianna, Sam, Ilyana... je suis désolée.

Le soldat en face d'elle pointa l'arme sur elle. Il fit feu.

-Amara ne mourra jamais ! cria-t-elle avant qu'elle ne s'effondre.

Arianna hurla. D'autres hurlèrent.

La fille de Maria Eléazar s'effondra, mais son frère la serra contre lui, les yeux rivés sur le sang qui s'écoulait sur le sol.

D'autres morts suivront, et Arianna sera à chaque fois là pour les voir expirer leur dernier souffle. Jusqu'à ce que Azel perde patience et que ça soit le sang de sa propre sœur qui macule les murs.