La Tour d'Ivoire - Tome 2

Prologue

« Look what all them did to me. »

« Run, and don't look back. »

Auteur inconnu

Dans les années 2750 ...

Amara avait déjà eu l'occasion de voir nombre d'arrestations, mais jamais elle n'aurait pensé un jour vivre la sienne.

Une ambiance pesante mêlée d'un soupçon de peur régnait dans les rues de la nouvelle capitale. Elle seule en était la cause. Dans quelques heures à peine, elle serait arrêtée, puis tuée.

La jeune femme secoua la tête, faisant virevolter ses longs cheveux noirs. Si quelqu'un lui avait dit, un an auparavant, qu'elle finirait par être traquée par ceux-là mêmes qu'elle appelait ses amis, elle lui aurait ri au nez.

Justement, pensa la jeune fille, c'est mon arrogance qui m'a perdu. Notre arrogance à tous.

Elle se remit au travail, fourrant dans son lourd sac à dos tout ce dont elle pensait avoir besoin si elle réussissait à s'échapper. Elle dut s'empêcher de ricaner, ses chances de leur passer entre les doigts étaient si maigres qu'elle aurait aussi bien pu se tirer une balle dans la tête. Amara savait à qui elle avait affaire, personne ne leur échappait jamais. Ils étaient trop malins, trop puissants... ils étaient comme elle.

Quelle ironie, elle faisait partie des gens qui avaient amélioré l'armée et aiguisé le talent des espions du pays et maintenant elle allait mourir de leur main.

Elle glissa ces biens les plus précieux dans son sac, deux livres, le premier ; un journal, le sien, racontant tout ce qui l'avait amené ici aujourd'hui, aux portes de la mort. Les autres étaient bourrés de croquis, d'esquisses. Les siens. Des idées criées aux vents, des bouteilles jetées à la mer. Ce carnet contenait son essence profonde.

Amara était la meilleure architecte du monde, tout le monde s'accordait à dire qu'elle avait un talent qu'aucun autre être humain n'avait possédé jusque-là. Elle riait toujours à ces compliments, elle trouvait ça puéril. Elle était talentueuse, certes, la meilleure de sa génération, peut-être, mais de nombreux autres génies l'avaient précédé dans la longue marche de l'Histoire. Elle n'était rien d'autre qu'une femme.

Une femme qui avait parié, et qui avait perdu. Une femme qui avait entrainé la chute de ce monde. Pas seul, non, mais elle en était la principale investigatrice.

Ces précieux biens cachés dans son sac, elle jeta un coup d'œil à la pièce lumineuse dans laquelle elle se trouvait depuis plus d'une heure maintenant. Son bureau. Son atelier. Qu'importe le nom, cet endroit était le sien, l'endroit où elle se réfugiait lorsque le monde lui donnait envie d'abandonner tout espoir. Les couleurs chaudes des murs l'apaisaient, tout comme les teintures éclatantes. Des souvenirs du pays d'origine de sa mère, l'Algérie. Elle était née en France, et se sentait française, mais elle retournait chaque été au bord de la méditerranée, retrouver une partie de sa famille. Amara avait toujours adoré sa grand-mère, une vieille femme à la peau burinée et au sourire déroutant.

Un voile de tristesse passa sur le visage bronzé de la jeune fille. C'était fini. Plus jamais elle ne reverrait sa grand-mère. Sa folie l'avait condamné, elle et toute sa famille.

Elle balaya des yeux son bureau, couvert d'une centaine de documents, de croquis chiffonnés. Elle avait travaillé des heures pour finir son projet. Ses projets. Elle serra son sac contre elle, tout ce qui lui restait se retrouvait maintenant là-dedans. Des années de travail, de nuits passées sans trouver le sommeil, pour en arriver là... à fuir comme une voleuse.