60. La Caste

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Ceux de l'Autre côté...

Ma peau se couvre de givre. Le timbre de voix de Haze, beaucoup plus bas et solennel que d'ordinaire distille un voile de brume inquiétant dans l'air du loft. Les couleurs de la pièce sous les combles semblent s'être retirées d'un coup, transformant mon environnement quotidien en illustration monochrome.

Mon corps me hurle de fuir. Ma logique le tient en laisse. Je SAIS que ma vie ne sera plus jamais pareille après cette conversation, et pour une fois, je ne voudrais pas qu'elle change. 

Je déglutis avec difficulté. Tente d'imprimer un rythme mécanique à ma respiration qui m'envoie promener. Contemple les traits tendus de l'Archange pour qui j'éprouve une passion dévorante. Je ne veux pas perdre ce qu'on a si chèrement gagné alors même qu'on est enfin honnêtes l'un envers l'autre. Tout était parfait il y a quelques minutes à peine. 

Parfait pour moi qui ne connais pas l'envers du décor. 

Comment se sent Haze en réalité ? La bouilloire se met à siffler et je m'applique à verser l'eau brûlante, profitant de mes derniers moments d'inconscience pour contempler le ballet des feuilles de thé dans la tasse. Le miel doré disparaît dans le liquide ambré comme s'apprête à le faire l'innocence qui me reste. Cette certitude résonne au creux de mes os dans un rythme guttural. Je m'accoude au comptoir et y dépose mon breuvage dans un cliquetis de porcelaine.

-      Vas-y, je suis prête à t'écouter, j'émets d'une voix mal assurée, brisant mon silence laqué de l'égoïsme de l'ignorance volontaire.

Mon Custos tend le bras vers moi et drape ma main de la sienne comme pour se/me donner du courage. Oh ! Jamais il ne m'a touché de façon si naturelle et... désespérée. Nos iris se croisent et s'entrelacent. L'appréhension dans ses yeux étrille mes tripes et je l'incite à se lancer d'un bref signe du menton.

-      Il y a tellement de choses à dire... Je pourrais parler pendant des jours et des nuits complètes.

Haze presse ses paupières fermées et soupire en continuant :

-      Je ne sais pas trop par où commencer. Je ne veux rien te cacher mais en même temps, je dois aller à l'essentiel... Il... Il me semble plus logique et rapide de procéder de façon chronologique. 

Je relâche à regret l'étreinte de nos doigts, fais le tour de l'îlot central et m'assois sur le tabouret près du sien. Haze ramène ma tasse devant moi et reprend :

-      Lorsque Nous nous sommes éveillés à la conscience, les humains n'existaient pas encore. Quand je dis Nous, je veux parler des Êtres immatériels ou des Êtres de lumière, selon la dénomination que l'on nous a ensuite donnée. À l'époque, il n'y avait ni Deus, ni Diabolus, ni Angeli, ni Daemones

-      Ni Dieu ni Diable, c'est ça ?

-      Exact.

-      Désolée, tu n'as même pas commencé que déjà je t'interromps !

-      Pas de souci, tu poses les questions que tu veux, ça me va très bien. Pour toutes les fois où elles se multipliaient dans ta tête et que je me taisais..., assure mon Gardien, d'un air coupable.

J'empêche une moue ironique de monter à mes lèvres. Ce serait dur de nier à quel point cette situation m'a fait chier.

-      Vas-y. Désévangélise-moi si Dieu n'existe pas ! je blague sans conviction pour dépoussiérer l'atmosphère lourde qui perdure dans le loft faiblement éclairé.

DissonancesWhere stories live. Discover now