13. Fleurs fanées et excuses d'usage

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En fin de compte – et malgré tout – nous avons eu un bel après-midi. La présence de Nate a eu l'effet magique de refouler mes problèmes dans un recoin de mon esprit. Ils me rattraperont plus tard, mais je savoure bêtement la sensation qui perdure.

À partir de maintenant, les choses seront peut-être moins compliquées...

« Vraiment ?» raille méchamment ma petite voix intérieure. Je lui fourre un coup de pied.

La plupart du temps, ce n'est compliqué que dans ma tête.

« Effectivement, la trame sonore qui t'assaille depuis deux semaines n'est audible par personne d'autre que toi ! » reprend ma petite voix en sourdine. « Ta gueule ! » je lui réponds, bien décidée à ne pas la laisser gâcher ce moment de répit chèrement gagné. L'ébauche de sourire qui s'attarde sur mes lèvres depuis le dernier baiser de Nate se fane quand même.

Le soir tombe déjà. Les lampadaires s'allument lorsque je traverse la rue Duchastel. Ça sent le froid. Ça sent la lune, la nuit. Quelques citrouilles grimaçent une moue édentée depuis leur balcon. Mon quartier est désert.

Je presse le pas. Le profil familier de notre toit se découpe dans le contre-jour, avec ses lucarnes et sa cheminée ancienne. Érigée en 1758, ma maison me semble un refuge inébranlable, à l'épreuve du temps. Construite par des humains disparus depuis longtemps, mais tellement moins éphémère qu'eux.

Des fantômes de fleurs desséchés tiennent encore debout dans les jardinières. Maintenant, c'est Annah et moi qui prenons soin de les garnir chaque printemps, sauf qu'il y eut une époque où c'était ma mère et moi qui le faisions.

La lueur qui filtre à travers les rideaux du salon chasse ces pensées douces-amères. J'ai de la chance d'avoir toujours une famille qui m'attend à l'intérieur.

Une délicieuse odeur de feu de bois m'enveloppe dès que j'ouvre la porte. La voix grave de Franz me parvient, assourdie depuis le portique. Il parle au téléphone, enfermé dans son bureau. Mon simulacre de bien-être ne supportera aucune chicane. Peut-être que si je me dépêche, je pourrai l'éviter jusqu'au souper.

Je me déshabille quand il fait irruption devant moi. Je sursaute en retenant un cri.

- Allô ! T'as passé une belle journée ? s'informe-t-il, m'attirant à lui pour m'embrasser dans les cheveux comme il le fait toujours.

Franz est exagérément attentionné... OK. Il se sent vraiment coupable ! Ça lui arrive chaque fois. Le problème, c'est que je ne sais jamais à quel moment ça va se produire.

- Oui, et toi ?

- J'en ai connu des meilleures ! admet-il avec un sourire contrit. Nate est pas avec toi ? Vous deviez pas aller à un party ce soir ?

Il essaie de retirer mon foulard quand je le stoppe d'un geste – il y a des limites, quand même, déjà qu'il m'a déshabillée cette nuit !

- Nate est chez un copain. Je vais au Starbucks avec Jane après le souper, et il va venir nous rejoindre plus tard pour qu'on aille chez Justin ensemble.

- Qu'est-ce que vous avez fait cet après-midi ? veut savoir Franz en prenant mon blouson pour le suspendre sur la patère.

- Nous sommes allés jusqu'au Mont-Royal... Toi, t'as fait quoi ?

- Super ça ! Viens par ici, m'intime mon frère en éludant ma question pour m'entraîner dans le salon. J'ai allumé un feu quand Annah m'a dit que t'avais passé l'après-midi dehors. Tes mains sont toutes froides !

Je m'installe sur le sofa à ses côtés.

- Alors, qu'est-ce que t'as fait aujourd'hui ? je réessaye, bien que je me doute de sa réponse.

- Je suis allée voir Mamie Coco. Elle t'attend demain.

Encore quelques secondes et nous y seront... Les excuses ne sont plus loin. C'est imprimé sur son front en caractères gras !

- Écoute Haydn, pour hier, je voulais te dire...

- Laisse tomber, ça va !

- Non, c'est important que tu saches... ! Je me suis mis en colère parce que j'étais inquiet, mais je regrette ce que je t'ai dit. Comme d'habitude en fait ! achève-t-il, piteux.

Ahhhh que je déteste le voir comme ça !

Même sans cet air suppliant j'aurais passé l'éponge. Si les engueulades ne sont pas rares entre nous, le pardon est facile. Ça équilibre un peu les choses. Je ne peux pas supporter ça davantage ! Je l'enlace et il me serre très fort.

C'est le moment que choisit Annah pour nous crier que le souper est près. Parce qu'elle a bien sûr attendu ce moment précis pour nous appeler !

- Allez, oublie ça ! je lâche, trop heureuse de le sentir se détendre pour me laisser envahir par la culpabilité – puisque dans les faits, il n'a jamais eu autant raison de s'inquiéter. Ça ne t'arrive pas si souvent...

DissonancesWhere stories live. Discover now