41. Au Bliss-Coffee

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Soulager. Verbe. Figuré : enlever un poids à la conscience de quelqu'un, le libérer d'une souffrance physique ou morale. Rendre quelque chose moins lourd à supporter. Calmer.

Au cours des semaines qui suivent, je pense souvent aux adieux qui ont succédé le dîner censé célébrer ma sortie. Si ça n'en avait tenu qu'à moi, je serais partie le soir même. Mais par respect pour Franz, je suis restée pour les fêtes de fin d'année.

Au bout de dix jours, je n'en pouvais plus de contempler mon œuvre psychotique, faite de lacérations et d'ecchymoses dans la chair des cœurs et des cerveaux de mes proches.

Je me félicite plusieurs fois par jour de m'être terrée en clinique si longtemps. De m'être donné la chance d'acquérir l'aplomb nécessaire pour leur faire face. Pour tenir debout malgré leurs assauts de volonté pour me faire changer d'avis.

Car j'aurais pu en sortir bien avant...

Dans un hôpital public, on m'aurait éjecté de mon lit au bout de quelques mois, quand bien même je me serais accrochée aux draps... Mais l'argent ouvre la porte à ce type d'injustice, alors j'en ai profité.

Pas question donc, de m'installer un temps à Montréal, « afin d'éviter une décision regrettable », comme l'aurait souhaité Mamie Coco. Ni de « retourner assister à quelques cours pour voir si... », selon le discours tenu par Jane. Et bien que j'ai cru impossible que Franz me demande un jour de lui interpréter une pièce, cela s'est bel et bien produit. Dans l'optique bien sûr, de « m'aider à me retrouver ». 

Pauvre Franz ! 

Je l'ai surpris au téléphone dès le lendemain soir de mon retour à la maison. Apprendre qu'il s'autorisait à communiquer avec le docteur Carignan si tard ne m'a guère étonné. De réaliser que mon psychiatre n'a pas encore fait bloquer son numéro a mis en relief la patience et le cœur d'or dont est doté cet homme, ce que j'ai eu maintes fois l'occasion de remarquer.

Je ne sais pas ce qu'il dit à mon frère. Mais j'ai bénéficié d'une courte accalmie au cours des jours suivants. 

Acheter mon billet, rassembler quelques affaires qui réchapperaient du naufrage.... Essentiellement des livres, mon iMac, quelques vêtements. Je n'ai besoin de rien d'autre. Le loft que Lawrence réserve à ses amis musiciens qui enregistrent chez lui est meublé.

Pour m'y être rendue à quelques reprises, je connais assez bien ce quartier de New York qu'est Brooklyn Heights. Rien ne m'attend là-bas. Je pourrais aller n'importe où. Tout ce que je veux, c'est oublier. J'aurais préféré n'avoir aucun lien avec personne, sauf que ce n'est pas réaliste. Si fort soit mon désir de m'isoler, il y a une limite que je ne peux franchir, par respect pour ceux que j'aime.

Le premier lundi de janvier donc, un peu plus d'une semaine après mon congé de la clinique, je me tiens dehors avec Franz, Annah et Jane, prête à partir. Je ne suis pas allée fêter le 31 décembre au party organisé par la gang, n'ai pas trouvé le courage de revoir Nate, n'ai pu me résoudre à jouer ne serait-ce qu'une gamme...    Je n'ai eu envie de rien qui aurait pu me faire hésiter à tout laisser derrière.

J'ai passé ma dernière soirée à Montréal en compagnie de Mamicoco. Ça a presque été agréable. Ce matin-là, mes valises à la main, dans le froid qui mord tout ce qui est à découvert, je contemple derrière mon mur de verre l'humeur sombre de mon frère, en attendant le taxi qui me mènera à l'aéroport Pierre-Elliot Trudeau.

Ma décision de partir seule a sonné le retour de sa face d'enterrement. A-t-il vraiment imaginé que son silence me ferait renoncer à mes plans ? Le connaissant, je ne peux le soupçonner d'avoir élaboré ce genre de stratégie. Quand il est question de moi, il obéit à des impulsions : le docteur Carignan l'a convaincu du bien-fondé de me laisser tranquille, il y a cru. Mon refus catégorique de me faire accompagner l'a blessé, il me fait la tête. 

DissonancesWhere stories live. Discover now