19. Échos d'un autre monde

1.5K 241 123
                                    

La jeune femme imprime ses doigts blancs sur le clavier. Des sons cristallins résonnent.

Limpides.

Purs.

Scintillants comme des perles de lumière.

Résister serait vain. Alors il attend.

Bien vite, cette dentelle musicale se meut en résille impitoyable qui le ramène près d'elle.

Bientôt, le feulement d'un violoncelle vient lier les pulsations d'une batterie, enrober les vibratos d'une guitare électrique. Il endigue son irritation.

Avec le temps, il a réussi à apprécier ces instruments contemporains qui étouffent la pureté des vibrations dans une distorsion métallique. Sauf qu'il déteste perdre le moindre détail des broderies nuancées du piano lorsqu'elle joue.

Un ruban argentin se forme. Il s'enroule autour de son être. Fait de lui son prisonnier. L'enchantement poursuit son œuvre. Resserre le lien entre la jeune femme et lui. Il est désormais si fort qu'il serait souffrant pour lui comme pour elle de le rompre en s'éloignant avant qu'elle n'ait fini de jouer.

Bientôt, il succombe à son charme. Comme chaque fois. Hagard, les sens émoussés par la musique qui obstrue les pores de son Âme, il s'approche. Ce n'est pas possible... Ça ne peut pas être ça... Cette émotion... Cette émotion, i̶l̶ ̶l̶a̶ ̶c̶o̶n̶n̶a̶î̶t̶ ̶il ne la connaît pas.

Dans son égarement, il trouve refuge sur l'immense instrument de concert, là où aucun humain n'aurait l'audace de s'asseoir. Réceptive à son essence, Haydn se redresse subitement. Tout son corps s'enflamme d'un enthousiasme enfiévré. Son jeu se fait plus magnétique encore.

Grisé par les arabesques sonores qui s'élèvent autour de lui, il cède à sa fascination pour elle. C'est difficilement tolérable et la subir ne fait qu'accroître son sentiment de captivité.

La délicatesse, le raffinement de ses traits. La grâce qui imprègne son visage lorsqu'elle se laisse posséder par la musique...

Tout à coup, il est fait d'eau mais se noie. Il est une braise sur laquelle on souffle. Il est un fantôme dans le vent pailleté de flocons. Un fantôme devant le soleil.

Ces sensations l'effraient. Il ferme les yeux. Peine perdue : son odeur de fruits mûrs et de fleurs fraîches la ressuscite dans son esprit. Son image vit en lui.

Les nuances du piano glissent sur sa langue, infusent son essence.

Le temps se plie.

Se distend.

Se fracasse.

Le temps perd toute forme à partir du moment où sa musique commence et celui où elle cesse.

Le charme se rompt lentement, mais son influence continue à obscurcir son jugement, à altérer ses sens. Le jam a pris fin, remplacé par un silence assourdissant. Le banc du piano est vide. O̶ù̶ ̶e̶s̶t̶-̶e̶l̶l̶e̶ ̶?̶ ̶C̶o̶m̶b̶i̶e̶n̶ ̶d̶e̶ ̶m̶i̶n̶u̶t̶e̶s̶ ̶l̶e̶s̶ ̶s̶é̶p̶a̶r̶e̶n̶t̶ ̶?̶À l'exception de son amie, Jane, et de l'un de ses copains, il est seul dans le studio. Il lui est facile de les ignorer s'il le souhaite.

Libéré de l'emprise de la mélodie, il goûte le soulagement qui résonne dans sa cage thoracique, mêlé d'un fatras d'émotions contradictoires. Il se prend la tête dans les mains et se paye luxe d'une inspiration profonde.

Dès sa création, il a ressenti une curiosité insatiable pour l'espèce humaine. Toutefois, rarement il ne s'est intéressé à un individu en particulier et jamais il n'a conçu de sentiments pour l'un d'eux. Quel est ce phénomène qui intervient lorsqu'il est en présence de cette Mortelle? Qu'est-ce qui fait qu'il n'arrive pas à s'arracher à son attrait?

La première fois qu'il a été contraint d'obéir à son jeu, il a lutté. Mais depuis le temps, lorsqu'elle s'installe au piano il ne s'oppose plus à l'envoûtement qui le gagne. C'est devenu une réaction psychique inéluctable. S'il se trouve dans les parages, il est incapable de résister à l'attirance implacable qu'il subit dès les premières notes.

Lorsqu'elle n'était qu'une enfant, c'est la curiosité qui l'avait mené à elle. Pourquoi tant de Sola animos autour de cette jeune fille? Et ces Tenebrae... Elles avaient fui à son arrivée. Toutes.

Peu importe leurs intentions ou leurs allégeances.

Si, contrairement à elles, il avait compris la raison de leur présence auprès d'elle, ce n'est pas pour cela qu'il était lui-même revenu par la suite.

Sa réaction... C'est sa réaction quand il s'était approché d'elle qui l'avait intrigué. Et sa conséquence. La musique n'a été qu'un attrait supplémentaire.

Il sait ce qu'elle est. Mais cela n'explique rien. Cela n'explique pas cela.

Éprouvé par cette démence passagère, il se lève pour partir. Peut-être est-ce dans l'espoir non avoué de la revoir qu'il emprunte ce couloir – une façon de faire incontestablement humaine. Ses pas l'amènent à surprendre une conversation dans laquelle il entend son prénom, le forçant à s'arrêter.

- J'y crois pas ! Regarde Haydn !

- Non ! Mais qu'est-ce qui arrive au petit prodige de M. Hansen ?

- Ha ha ha ! Elle vient de perdre son auréole, voilà ce qui lui arrive !

Les propos des deux jeunes inconnues postées dans l'encadrement du salon sont teintés de jalousie. Ébranlé dans son désir de quitter les lieux, il hésite, mais ne peut se résoudre à le faire.

Coucou les Lovelies !

En média New Born de Muse, un groupe qui a été une inspiration incroyable pendant l'écriture du premier jet de Dissonances ! ✨✨

Si je me faisais faire un trailer, c'est certain que la trame sonore serait l'intro de cette tune ! Mais ça me paraît trop complexe, alors faudra vous contenter de vous l'imaginer 😝

Bisous

DissonancesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora