27. Je veux le voir, c'est tout ce qui compte !

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19 octobre, 3 h 57

Jane est partie dormir un peu. Annah est passée, Franz aussi. L'inquiétude a dû réveiller en lui des douloureux souvenirs : il s'est accroché à ma main une heure durant.

On ne nous a rien dit depuis hier – rien qu'on ne sache déjà. Nate est toujours dans le coma. Ses parents arriveront sous peu... Peut-être que ça déliera les langues des médecins ?

Je me masse les temps en expirant longuement. Quatorze heures que ce cauchemar a commencé ! Je ferme les yeux. Les images défilent. Mon amour par terre. Son corps agité de soubresauts. Son regard aveugle. Les gargouillis terrifiants qui s'échappent de sa gorge. La bave qui lui coule sur le menton.

STOP!

Pense à autre chose ! Ses clins d'œil qui te font fondre... Ce sourire qu'il n'a que pour toi... C'est inutile ! Impossible de me représente Nate autrement qu'au sol, entouré d'ustensiles, en train d'agoniser. Ces images sont gravées dans la chair de mes paupières et me torturent quand je cligne des yeux, me tuent quand je les ferme.

Je serre les poings convulsivement. J'ai envie de frapper dans le mur. De hurler ma rage ! Chaque fois qu'on a posé la question – chaque fois – on nous a répondu que son état était stable. Stable ! Ça veut dire quoi bordel ? Bien des états peuvent être stables ! Le coma peut-être stable. ̶L̶a̶.̶ ̶m̶o̶r̶t̶ ̶c̶é̶r̶é̶b̶r̶a̶l̶e̶ ̶p̶e̶u̶t̶ ̶ê̶t̶r̶e̶ ̶s̶t̶a̶b̶l̶e̶

Je me retiens de hurler mon impuissance ! Si seulement on me permettait de le voir ! Juste une minute... Je pourrais lui dire que ça ne devait pas se passer ainsi, qu'il y a eu une erreur ! Je pourrais pu lui dire que je l'aime. Que je ne lui souhaitais aucun mal. Du fond de cette noirceur comateuse, il m'entendrait c'est sûr !

De hurler mon dégoût de moi-même ! Pourquoi je l'ai laissé faire ? Il aurait pu le tuer ! Ça aurait pu arriver à Jane aussi ! Je tremble, je tremble, je tremble de peur à l'idée que ̶ ̶N̶a̶t̶e̶ ̶n̶e̶ ̶s̶o̶i̶t̶ ̶p̶l̶u̶s̶ ̶j̶a̶m̶a̶i̶s̶ ̶l̶e̶ ̶m̶ê̶m̶e̶ ̶!̶ ̶Je n'arrive pas à formuler cette pensée dans ma tête.

Je me force à me lever et fais quelques pas dans le corridor désert. J'écoute l'hôpital sommeiller. La rumeur des voix feutrées d'inconnus en uniformes. Celles qui ne se soucient pas de déchirer ce voile de faux silence parce que la douleur doit s'extérioriser d'une façon ou d'une autre.

Une odeur de maladie et de désinfectant me parvient en passant devant une chambre. Un préposé d'à peu près mon âge en sort, poussant un chariot rempli de linge sale. Il a un teint de cancéreux, comme tous ceux qui empruntent ce couloir ponctué d'accents fluorescents.

Je n'en peux plus d'être ici !

Vingt-trois ambulances ont vomi coup sur coup accidentés et autres catatoniques entre onze et deux heures. Et je n'ai pas compté ces gens – dont certains tenaient plus du zombie que de l'humain – qui se sont entassé dans la salle des urgences où je me dévorais d'angoisse. Jusqu'à ce qu'un coup de mou se fasse sentir vers deux heures du matin.

Je n'ai pas compris comment fonctionnait le système de triage. Parce que si j'avais eu un pouvoir là-dessus, ce bébé n'aurait pas hurlé pendant des heures, anéantissant tout futur désir d'être mère.

OK. Ça non plus, ce n'est pas un bon sujet de réflexion.

J'ai beaucoup trop de liberté pour penser depuis qu'une infirmière à la patience héroïque a eu pitié de moi lorsque je lui réclamais des nouvelles de Nate pour la quarante-troisième fois. N'étant pas de la famille – je suis juste sa copine après tout – , l'accès à la salle d'attente des soins intensifs m'est interdit. L'aile C où elle m'a permis de faire les cent pas est beaucoup trop calme finalement. Mon niveau d'irritation a chuté alors que mon anxiété montait en flèche.

DissonancesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant