35. Lorsque le rideau tombe

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À l'entracte, Franz accompagne sa grand-mère et Annah aux toilettes des dames en se rongeant l'ongle du pouce gauche, attend près de la porte en se tenant sur un pied puis sur l'autre et fait la file pour commander des rafraîchissements sans pouvoir s'empêcher de jeter des regards perdus autour de lui.

Mais qu'est-ce que tu as bon sang ?! De quoi t'as peur ? T'es plus malade qu'Haydn mon pauvre !

Ils s'installent sur un banc contemporain placé sous une fenêtre en ogive pour boire. Cette bière va peut-être le détendre un peu.

Il écoute distraitement la conversation des deux femmes. Acquiesçant ou répondant par un geste, de la façon qu'il espère la plus naturelle possible. Mais il sait que ça ne le fait pas – il n'est pas très bon pour jouer la comédie. Annah a le visage de circonstances pour ce genre de papotage, mais ses yeux lui disent tout ce qu'elle pense vraiment. 

Vient enfin le moment de se soustraire à cette conversation utilitaire pour rejoindre la salle de concert et assister à la partie récitals de la soirée. Hay fera cette fichue prestation, et ils pourront retourner à la maison.

En sécurité.

Contrairement à la première moitié du programme, chaque minute qui suit s'étire sur plus de soixante secondes. L'élasticité du temps lui donne l'impression d'être assis dans une toile de Dalì.

Ce n'est que lorsque Jane s'avance sur la scène, à demi cachée par son violoncelle qu'il permet à ses muscles de se décontracter une demi-seconde, au souvenir de leur conversation. Bon, pas qu'elle ait dit quoi que ce soit de rassurant, mais elle ne semblait pas inquiète.   D'un autre côté, une Jane aussi zen, c'est étrange, non ? OK. S.T.O.P.

De contempler les traits familiers de l'amie d'enfance de sa sœur l'apaise. Un peu.

Il s'applique à ne focuser que sur elle. Jane. Il ploie le fil de ses pensées pour qu'il abdique à sa raison. Il a toujours aimé cette fille. Même, ou peut-être surtout, parce qu'elle et sa presque jumelle Béatrice se sont si souvent moquées de lui en profitant de leur ressemblance ! Au moins lorsque Jane se penche ainsi sur son immense instrument, le doute n'est pas permis. 

La lumière joue sur ses cheveux presque noirs. Ils brillent, comme dans une pub de shampoing. Une longue boucle azur accrochée à son oreille gauche projette des éclats de miroir lorsqu'elle pince les cordes de son violoncelle. Il jette un coup d'œil au programme : O du fröhliche de Jean-Sébastien Bach. Elle l'interprète bien...

Une éternité s'écoule ensuite. Un élève d'origine chinoise entame un medley jazz de Noël au saxophone. Il n'a jamais apprécié cet instrument. Trop sensuel pour rien.  Ou trop festif, c'est selon.

C'est bien mon grand ! Concentre-toi sur des détails sans importance. N'importe quoi, continue !

Une petite rousse vient chanter a capella un air autrichien dont il ne se donne pas la peine de retenir le nom. Cette robe rouge ne lui va pas du tout. Ce n'est pas la coupe. Plutôt la couleur il dirait. Pour ce qu'il y connaît de toute façon ! Peut-être qu'elle est très bien sa tenue, au fond !

Les gens applaudissent alors qu'il s'essaye encore comme critique fashion. Franz se lève en mode robot et fait pareil. Sauf qu'il est le seul à être debout. 

Ce qui l'a fait jaillir comme un diable hors d'une boîte, c'est son cerveau, qui a percuté avant lui que c'était finalement le tour d'Haydn. Le silence se fait.

-       C'est elle, Franz !

-       Elle est magnifique !

-       T'avais raison pour la robe...

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