47. Interférences

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La sonnerie caractéristique de Skype éclate dans le silence épais. Shit ! Quelqu'un a entendu ma prière on dirait.

- Hay, tu vas bien ?

Le visage familier de Jane jaillit de l'écran du iMac. C'est pas vrai ! Je bataille quelques nanosecondes avec les muscles de ma bouche pour les contraindre à produire un sourire. Force ceux de mon front à se détendre et souhaite feindre la bonne tonalité de sérénité pour avoir la paix. #origamifacial

Sauf qu'elle a cet air. Les nanosecondes étaient de trop.

- Allô Jane, moi aussi je suis contente de te parler ! T'as passé une belle journée ?

- Désolée, tu sais que je suis pas douée pour les préliminaires sur Skype, s'excuse-t-elle rapidement.

- Parce que In real life tu l'es peut-être ? j'ironise. Qu'est-ce qu'il y a ?

- Réponds-moi d'abord, est-ce que tu vas bien ?

Ce qui me reste de self-control se met à bouillir dans mes veines et se s'évapore à vue d'œil. Comment fait-elle ? À tous les coups, elle réussit à faire irruption dans ma vie au moment précis où elle est la dernière personne que je souhaiterais voir. À croire qu'elle est branchée en temps réel sur mon cerveau. Elle a toujours su avant que je ne lui dise quoi que ce soit.

Sauf...

Sauf pendant les semaines qui ont précédé mon internement... J'ai l'impression que c'est relié à cette histoire surnaturelle sans que je ne sache pourquoi. J'ai cette impression de buée sur mes pensées et qu'il suffirait de passer la main sur la vitre pour l'essuyer et voir au travers.

- Hay ! Je te parle, qu'est-ce que tu fais ? insiste Jane.

C'est évident qu'elle n'en peut plus. Tourmenté. Elle a le visage tourmenté. L'inquiétude a ciselé le désespoir dans ses traits. À ce stade, ce n'est même plus de la sympathie. C'est de la symbiose.

- Je t'écoute, du calme ! Je vais bien. Tu m'appelles spécialement pour me demander ça ? je m'enquiers, d'une voix hérissée d'agacement, malgré mon intention de la rassurer.

- J'ai eu un mauvais pressentiment. Comme ça, c'est venu d'un coup. Il fallait que je te vois !

- Tu t'en fais pour rien, je mens en me retenant avec peine d'ajouter comme d'habitude. Je vais bien.

- T'es certaine ?

- Oui ! T'as vu mon trésor cette semaine ?

- Oui, hier soir.

Échec de la première tentative pour changer de sujet. Elle ne pourrait pas être plus succincte et moins enthousiaste.

- Il allait bien ?

Oui, je voulais faire diversion, mais mon filleul me manque tellement que je ne rate pas une occasion de prendre de ses nouvelles. Les Skypes avec Franz ou Annah ne règlent pas ce problème : j'ai choisi New York, je manque certains des plus beaux moments de sa vie.

- Super !

- Tu peux développer s'il te plaît ?

Que Jane profite de Frederik à ma place soulage mon cœur, un peu comme si j'étais présente par procuration. Sauf que mon amie n'a pas sa tête de fée marraine et ne souhaite pas discuter de ce qui se passe à Montréal.

- Tout le monde allait bien. Qu'as-tu fait aujourd'hui ?

Je lui raconte en bref le récit de l'adoption de Satie, en essayant de faire coller le plus possible mon émotion à l'histoire : contente d'avoir découvert que je ne suis pas dingo contre contente d'avoir un chien.

DissonancesWhere stories live. Discover now