Chapitre 31

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« Curiosité n'est que vanité. Le plus souvent, on ne veut savoir que pour en parler. »

Blaise Pascal.

Un mois s'est écoulé après avoir fait ma rentrée au lycée Bethléem et pas mal de choses ont changé.

Lilith est H vingt-quatre collée à Mevet, tandis que Canaân bouguonne dans son coin et que moi, je me retrouve chaque jour un peu plus seule au lycée. Néanmoins, cela me concient, je garde mon optimiste grâce à Louis que je vois beaucoup ces derniers temps. Et heureusement d'ailleurs, parce qu'en cours, ce n'est pas la joie entre l'éloignement de mon amie et son comportement qui me semble de plus en plus étrange envers moi. Cependant cela ne m'étonne pas, elle n'arrive peut-être pas à gérer son amitié avec moi avec sa vraie nature.

Quant à Seth, il brille par ses nombreuses absences ainsi que son ignorance. D'un côté, j'en suis ravie, de l'autre, j'ai l'impression que ça ne présage rien de bon.

Aujourd'hui, Lilith et moi passons une journée comme les autres, mais celle-ci finit ses cours plus tôt que moi. Alors, malgré ma motivation à son plus bas niveau, j'emprunte le couloir menant à la salle de dessin.

Être au lycée est pour moi une perte de temps considérable dans la quête de la vérité sur ma famille. Toutefois,   les cours d'art sont pour moi une façon de me retrouver et de m'évader.

Lorsque monsieur Rallon, notre professeur d'art, nous laisse entrer dans la salle, je m'installe comme à mon habitude au fond dans un coin, bien loin des autres.

Tout le monde se connaît, des petits groupes se sont déjà formé depuis un bon moment. Ils bavardent tous ensemble et, comble du désespoir, il n'y a personne de ma classe ayant ce cours optionnel en commun avec moi. Cet après-midi, l'enseignant nous demande de réaliser une œuvre sur le thème du corps en mouvement.

Je me mets au travail sans perdre une minute avec une idée bien précise en tête, ce qui est plutôt rare. Là, c'est comme une idée lumineuse venue de nulle part. Après des heures ennuyantes d'histoire de l'art et à dessiner et peindre une poubelle, nous pouvons enfin passer à l'application, la vraie !

Un peu plus tard dans le cours, un corps commence à apparaître petit à petit sur ma feuille de dessin et miraculeusement, mon coup de crayon ressemble à quelque chose d'à peu près réelle et non à une déformation cubique et déformée à la Picasso. Ma sérénité ne dure pas longtemps, car brusquement une voix m'extirpe de ma concentration.

– Heavan ?

Je me retourne en sursaut, lâchant mes outils au passage. J'ai presque oublié qu'il y avait du monde autour de moi. À ma grande surprise, je vois non pas l'enseignant, mais Canaân qui se tient debout derrière moi. Il dégage une telle confiance en lui, que j'en serais habituellement déconcertée si je n'avais pas encore la tête dans mon dessin. Paradoxalement, son aura est froide et distante aujourd'hui. Je peux reprocher pas mal de choses à Seth, mais il s'avère être chaleureux quand il le désire.

Pourquoi faut-il que je rapporte toujours tout à Seth ? J'ai mon copain, je dois penser à lui plutôt qu'à ce détraqué !

– Canaân ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

– Je suis en cours d'art, moi aussi. Tu n'es pas contente ? Ça nous fait trois cours en commun maintenant, ajoute-t-il, en comptant sur ses doigts.

– Trois ? Non, nous en avons deux : le sport et le dessin, visiblement.

– Tu te trompes, ce sont bien trois. À moins que tu ne comptes sécher les prochains cours de langues mortes ?

– Comment tu le sais ?

– Que tu sécheras les cours ?

– Non ! Je voulais dire, comment tu sais que j'ai cours de langue morte avec toi ? Je ne t'ai absolument pas vu aux cours précédents.

– Je n'étais pas dans ton groupe. Lilith m'a appris que je m'étais trompé de classe. Elle sait toujours tout d'avance, je ne sais pas comment elle s'y prend, mais c'est pratique.

– Chouette, rétorqué-je, sans grande conviction.

– Comme tu le dis ! C'est pour ça que j'aime les cours optionnels.

Je ne sais pas pourquoi il m'apprécie autant, mais cela devient gênant et je le trouve trop intrusif à mon goût. Je sens que ce n'est pas une gentillesse naturelle, mais plutôt feintée. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. C'est un rusé, un serpent qui tente de s'enrouler lentement autour de moi, mais je me méfie. J'apprends à rester toujours sur le qui-vive.

– Alors ? Comment ça se passe avec Seth ? me questionne-t-il, encore trop curieux.

– Seth ? Je ne sais pas, pourquoi ?

J'ai brusquement chaud, mes joues sont en feu. Pourquoi il me parle de lui alors qu'il ne l'aime pas ? Je me sens mal à l'aise d'un coup.

– Comme ça. Je vous ai vu discuter un soir, sur le parking du lycée. Il ne t'a pas ennuyé, j'espère ?

– Non, non ! Il me rapportait juste des papiers que j'avais oubliés en classe.

– Ah oui ?

– Mais cela fait un moment déjà. Je ne t'ai même pas remarqué ce soir-là.

– C'est normal, je ne me suis pas trop attardé dans le coin.

Tant que j'y suis, je rebondis sur le sujet qui me turlupine depuis quelque temps, de manière à en savoir un peu plus sur ces deux types de plus en plus louche à mon égard.

– Je vois que vous ne vous aimez pas beaucoup vous deux.

Ce n'est pas une question et il le sait. Lui et moi, nous sommes juste deux personnes ayant une amie en commun, rien de plus. La dernière fois qu'on s'est parlé remonte au jour où Seth et lui-même, se sont pour la énième fois embrouillé en sport. C'est pour dire que notre relation amicale est peu profonde.

– C'est compliqué avec lui. Nous n'avons pas les mêmes convictions et nos caractères ne coïncident pas du tout, alors c'est très froid entre nous. Nous n'avons pas les mêmes valeurs et les mêmes ambitions. Nous ne venons pas du même monde. C'est pour ça que nous n'arrivons pas du tout à se comprendre. C'est une guerre sans fin.

« Une guerre éternelle ? Pas les mêmes convictions ? Pas du même monde ? »

Après tout ça, personne ne peut me dire que ce ne sont que des mots et qu'il n'y a aucun hasard derrière des paroles aussi ambiguës.

Maintenant, il ne me reste plus qu'à connaître la réelle raison de leur querelle.

Devil's Lake T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant