Devil's Lake T1

Chapitre 25

« Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs du Ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs de l'Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence ! »

Charles Baudelaire.

– Pourquoi Dieu a-t-il demandé aux anges leur avis sur la création des Hommes ? répète l'enseignant, impatient.

Ce dernier continu de fusiller Seth du regard, mais il n'en démord pas et reste droit et fier devant le prof.

– Je peux comprendre que sécher les cours ne vous est pas d'une grande aide, car visiblement, vous ne savez pas sur quoi nous travaillons.

Il interroge un élève ayant levé la main. Ça ne me surprend pas de voir le premier de la classe mettre son grain de sel dans cette histoire.

– On étudie Milton, monsieur.

– Au moins un élève qui suit. Alors, Mr.Liam ?

– Ce n'est pas vraiment en adéquation avec...

– Je me fiche de vos commentaires.

Après une longue attente silencieuse et des échanges de regards meurtriers entre le prof et Seth, ce dernier répond enfin à la question comme s'il récitait une leçon apprise par cœur.

– Tout simplement parce qu'il n'aurait jamais cru de la part des anges leur opposition, et leur méprit envers cette créature qu'est l'être humain. Quand Dieu a créé l'Homme à son image, il a ordonné à tous les anges de vénérer son image à travers l'Homme et Lucifer a refusé. Il a protesté et dit : " Regardez, ce sont des créatures de terre et nous sommes des créatures de feu, je refuse de les adorer. " Alors Dieu l'a chassé.

– Ce n'est pas vraiment la réponse que j'attendais, vous êtes en train de me donner votre avis et des suppositions.

Seth le toise sans mot dire, ainsi le prof reprend :

– Vous pensez donc que cette opposition partait d'une bonne intention, si je vous comprends bien ?

Un énième et un long soupir après, l'élève ajoute comme s'il expliquait l'histoire à un idiot :

– C'est exact. Ils estimaient que la vie ne valait pas la peine d'être vécus, et que Satan voulait éviter cela à l'Homme. Alors, comme il a été renié, il a choisi de les aider et cela a commencé dans le jardin d'Eden. Sous la forme du serpent, il a libéré Ève d'une loi créé par Dieu. Celui de ne pas avoir le droit à la connaissance.

– À votre avis, Liam, pourquoi Lucifer a-t-il fait ça ?

– Ève a voulu s'épanouir, tout comme Lilith le voulait, alors que Dieu voulait la maintenir dans un état perpétuel d'innocence, d'infantilisme, d'ignorance. Tandis que Lucifer veut donner à l'humanité toute la sagesse qui peut éventuellement l'élever au rang des dieux, réplique-t-il, d'un ton condescendant, alors il l'a libéré et lui a ouvert les portes sur la vie et sur le bien et le mal.

Seth s'exprime comme si toute cette histoire était réelle et perdurait encore aujourd'hui. Ce cours est décidément insensé ! Qu'est-ce qui lui prend de parler ainsi d'un être qui est inexistant pour certains ?

– Décrivez-le-nous. Pour vous, à quoi ressemble le Diable en personne ? se moque le prof, en croisant ses bras.

Il le pousse dans ses retranchements, mais pour une fois je suis du côté du professeur.

– Tu l'as mérité Seth Liam ! ricane ma petite diablesse intérieure.

– Eh bien, il peut se transformer en ce qu'il souhaite. Parfois, il peut se manifester sous l'apparence animale comme le serpent. Mais le plus drôle, c'est que selon certaines rumeurs, il aurait usurpé la figure du Christ ou de la Vierge à de nombreuses reprises. Il paraît même qu'il a la permission de Dieu de varier ainsi sa forme selon ses desseins. Or, ces rumeurs sont infondées. Il est principalement décrit dans les textes anciens comme étant un séraphin.

– Mmh. Qui est l'Antéchrist ?

Il se retourne un instant et pose les yeux sur moi, j'en ai des frissons. Pourquoi je me sens si mal d'un coup ?

– C'est un homme, pas un démon. Il viendra sur Terre et se fera passer pour le messie, le Christ, afin d'inciter le mal chez les Hommes. Saint Jérôme dit qu'il serait un homme engendré par Belzébuth avec une religieuse.

Le sourire de Seth se fend lentement jusqu'aux oreilles. Il me fait froid dans le dos. À les voir, on dirait qu'ils règlent leurs comptes en oubliant que trente-trois élèves les regardent. Des rumeurs vont encore sortir aujourd'hui, je le sens. Cela ne me surprendrait pas qu'il soit traité de suppôt de Satan.

– Vous savez que sa propre bible lui est dédiée ? Qu'il fait beaucoup parler de lui dans la littérature, aussi bien ancienne que moderne ? Comme dans l'art d'ailleurs. Une religion lui est même consacrée, malgré le fait qu'elle est généralement mal vue. Si vous allumez la télévision, que vous allez au cinéma ou bien si vous entrez dans une librairie, vous le retrouverez partout. Aussi bien métaphoriquement que réellement, et sous toutes les coutures. Il séduit et a séduit toute la Terre, même ceux qui y sont réfractaire ne peuvent s'empêcher de parler de lui. Car c'est lui qui a aidé les Hommes à évoluer.

– Un conseil, Mr.Liam, lui chuchote le prof, assez fort pour que j'entende, arrêtez de jouer avec le feu, vous allez vous brûler les ailes, si ce n'est pas déjà fait.

– Ça, c'était du lourd, commente Lilith, heureuse à l'idée de parler de son domaine de prédilection.

Mon voisin paraît sur le point d'exploser, je le remarque rien qu'à cette lueur meurtrière s'allumant dans ses yeux, mais celle-ci s'évanouit aussitôt lorsqu'il se rassoit.

– Ce prof me sort par les yeux.

– Tu devrais l'écouter et te calmer, tu ne crois pas ?

– Pourquoi je devrais écouter un cours à mourir d'ennui, de plus avec un prof qui ne s'y connaît pas un brin ?

– Tout simplement parce que tu as l'air de bien t'y connaître. Et s'il s'acharne, c'est parce que tu le cherches.

– Laisse tomber. Tu ne comprendras jamais rien.

– Je ne veux pas te vexer, mais c'est la stricte...

– J'ai compris ! Occupe-toi de tes problèmes, me lance-t-il, le ton cinglant.

L'espace d'un instant, j'ai cru qu'il allait... Me tuer. Mais le plus troublant encore, c'est que ses yeux étaient d'un noir limpide : ses pupilles, ses iris. Tous étaient noirs, comme un trou béant. Ses sclères eux, sont devenu rouge sang.

– Il remet ça ! Encore une bourde de sa part, me dit la voix.

Oubliant ce que je viens de remarquer, hantée par une colère grandissante, je lance froidement :

– Commence déjà par éviter de m'en faire.

– Ça, ça va s'avérer très compliqué, ricane-t-il, d'une voix désincarnée.