Chapitre 15

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« Le premier animal domestique d'Adam après l'expulsion du Paradis fut le serpent. »

Franz Kafka.

Le cours de légende se termine une bonne trentaine de minute en avance. Le chargé du cours nous a seulement expliqué le programme de l'année avant de nous libérer. Ceci m'arrange plutôt bien.

Seth était non sans surprise dans le même cours que moi, cela m'a paru une fois de plus bizarre, mais je pense qu'il cherche tout comme moi à creuser la personne que je suis et inversement. En bref, j'ai la sensation qu'il est partout où je suis.

Tandis que je déambule dans les couloirs encore déserts, les néons au-dessus de moi se mettent subitement à clignoter pour finir par s'éteindre tout d'un coup. Bien que nous soyons en pleine après-midi, les couloirs restent sombres sans lumières, qu'elles soient naturelles ou superficielles.

Confuse, j'avance d'un pas hâtif alors que je sens quelqu'un dans mon dos s'avancer d'un pas déterminé. Dans la panique, je cherche désespérément la sortie, mais celle-ci a étrangement disparu. Puis sans crier gare, des chuchotements cruels et endiablés s'insinuent dans ma tête. Ces voix pesantes et hostiles me terrifient au plus haut point.

Heavan... susurre une femme.

Mortua*! menace une voix masculine.

Cours ! Cours ! ricane l'une d'entre elles.

Sans réfléchir, je presse le pas avant de cavaler comme une folle voulant fuir d'un asile psychiatrique. Je ne sais pas ce qui m'arrive, mais j'ai peur. Je m'affole d'autant plus du fait de ne pas trouver cette stupide sortie qui est vraiment nulle part !

Tandis que je perds de plus en plus le contrôle de ma raison, je distingue du coin de l'œil la silhouette accélérer dans mon sillage. J'entends le bruit de ses chaussures marteler le sol à un rythme effréné. D'un seul coup, je percute violemment quelque chose et je m'affale par terre.

Brutalement, les lumières se rallument et l'ambiance dans le couloir change. Il est bondé d'élèves.

– Regarde où tu marches, bordel ! râle l'élève que j'ai bousculé, un punk au vu de sa coupe colorée et de ses breloques.

Je le fixe hagard et me relève lorsque je comprends que je suis vite devenue l'attraction du couloir. Fuyant hors du bâtiment, je me précipite vers ma voiture et m'y engouffre honteuse, n'ayant guère envie de rester plus longtemps dans le coin.

Ces visions endiablées vont finir par avoir raison de moi, car elles sont de plus en plus réaliste et cela m'effraie terriblement.

Les gens d'ici sont sympas, là n'est pas le problème. Le véritable souci pour moi, c'est que cet endroit est à présent beaucoup plus glauque qu'auparavant. Peut-être est-ce ma nouvelle condition qui ne fait qu'accroître ce sentiment.

Les mains toujours tremblantes et agrippées au volant, quelqu'un frappe soudainement à la vitre de mon côté. Encore pétrifiée par ce que je viens de vivre, je bondis sur mon siège en retenant plusieurs jurons.

– Tu as oublié ça en classe, m'explique un visage connu, en me tendant un tas de polycopiés.

Je dévisage Seth, seule la fenêtre me séparant de lui. Malgré moi, je finis par la baisser afin de récupérer les papiers.

– Merci. Je ne savais pas qu'on avait des fiches à récupérer.

– C'était au dernier moment, mais tu t'es empressée de partir comme si tu avais le Diable aux trousses, ajoute-t-il, d'un haussement d'épaule, mais le regard espiègle, 

J'acquiesce en scrutant les fiches de cours dans mes mains. C'est plus fort que moi, peu importe ce qu'il dit ou fait, je suis toujours sur mes gardes avec lui.

– Tant que j'y suis, je voulais te parler de quelque chose.

Il semble vouloir s'éterniser en ma compagnie, sauf que je ne compte pas m'attarder. Louis m'attend et ce n'est pas tous les jours que nous pouvons nous voir, alors j'élude ses tentatives d'approche afin qu'il se lasse le plus rapidement possible.

– Justement, moi aussi ! En fait, je me demandais si tu me suivais.

– Pardon ? ricane-t-il en fronçant les sourcils, un brin irrité. Si je choisis un cours, ce n'est pas pour les beaux yeux d'une fille, loin de là ! crache-t-il, avec mépris.

– Ne t'emporte pas à ce point ! Je trouvais ça bizarre que tu sois encore là à... Laisse tomber. Tu voulais me parler de quoi ?

Après un long soupir, il répond laconiquement :

– De l'actualité.

– « L'actualité » ? rabâché-je en haussant les sourcils, troublée. Sérieusement ?

– Tu n'as pas entendu parler de ce qui s'est passé au lac dernièrement ?

– Non. Je n'ai pas vraiment eu le temps de prendre part aux informations locales.

– Tu devrais. Malgré tout ce qui s'y passe, le lac reste ouvert, alors je te conseille de ne pas y mettre les pieds. Sauf si tu as envie de mourir, Heavan.

Il a un humour très noir et très louche ce type, mais visiblement cela semble le faire bien rigoler. Au contraire de moi qui repense instantanément aux paroles des voix diaboliques entendues cinq minutes plus tôt.

– Très bien. Je n'en avais pas l'intention de toute manière.

– Parfait ! Ça fera une vie en moins à sauver dans ce cas.

Sa phrase, est-elle à double sens ou deviendrais-je paranoïaque ?

– Au fait, ajoute-t-il en me regardant d'une manière inquiétante, tu as essayé l'escholtzia ? Parce qu'accumuler de la fatigue pourrait vite te rendre vulnérable, tu sais.

Un silence pesant s'installe. Je reste muette à le fixer ne sachant quoi répliquer. Cela commence à me faire de plus en plus peur. 

*Mort, en latin.

Devil's Lake T1Where stories live. Discover now