Chapitre 12

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« Si le Diable n'est pas toujours aussi noir qu'on le peint, Dieu est-il toujours aussi blanc ? »

Samuel Butler, Nouveaux Voyages en Erewhon

Cette nuit, un rêve étrange et différent de celui que je fais depuis la disparition de mon père me tire de mon sommeil.

C'était comme si j'étais au beau milieu d'un champ, entouré de personnes dont je ne voyais pas le visage. Un feu me brûlait aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur, sans jamais apercevoir de flamme, bien que la fumée fût omniprésente.

Je me redresse difficilement afin de reprendre mon souffle. Étrangement, mes yeux me piquent et pleurent tout seul. Ai-je été si perturbée au point d'avoir ressenti les émotions de mon rêve ?

Subitement, je suis prise d'une horrible quinte de toux. Je tente d'ouvrir lentement mes yeux endoloris et m'étonne que ma chambre soit excessivement éclairée et brumeuse.

Je jette alors un œil à mon réveil, affichant une heure bien matinale : quatre heures et demie du matin. Qui plus l'est, l'odeur de soufre dans ma chambre est insoutenable. Je décide donc de me lever afin d'aller m'aérer l'esprit dans le jardin.

Tous ces derniers événements sont une épreuve pour moi, tout va beaucoup trop vite et cela me chamboule, même la nuit. Et je pense que mes invocations de plus en plus intense ne sont pas étrangères à tout cela.

J'ouvre ma fenêtre d'un coup sec vers le haut, celle-ci étant très vieille. Sans m'y attendre, j'absorbe une grande quantité de fumée et m'étouffe sous cet air insoutenable et toxique. Dehors, il fait encore nuit noire et sous mes yeux se projette des flammes d'une dizaine de mètres de haut.

Des ombres apparaissent et disparaissent, des rires sauvages et espiègles font écho sous un ciel sombre. J'ai la sensation d'avoir atterri en Enfer.

Paniquée, je referme difficilement la fenêtre, mais à peine ai-je fait quelque pas vers mon lit que celle-ci éclate en mille morceaux. Je tente de me protéger essentiellement le visage, mais lorsque je recule d'effroi, je marche sur les bouts de verres jonchant le sol.

– Ce n'est pas vrai ! hurlé-je de douleur, les pieds ensanglantés.

J'attrape mon téléphone au vol et descends en trombe dehors en boitant. Je compose sans plus tarder le numéro des secours et me dirige précipitamment vers la baie vitrée menant au petit jardin et tire violemment les rideaux blancs.

Sauf que face à moi se trouve tout autre chose. Je stoppe net tout mes mouvements, médusée.

Je raccroche mon téléphone sans même prêter attention à la dame qui me supplie de lui répondre.

Il n'y a plus d'odeur de cramé, plus de fumée, ni même de feu immense à travers les vitres.

Je n'y comprends rien. Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui m'est arrivé ?

Tout a disparu. Même ces ombres dansantes et menaçantes.

Ne comprenant pas ce qui est en train de m'arriver, je remonte à l'étage pour inspecter ma fenêtre qui a implosé.

Lorsque je rentre dans ma chambre, une impression étrange s'empare de moi et je me retrouve brusquement dans un état second. Comme si j'avais reçu un choc violent à la tête.

Je me tiens à la porte pour ne pas tomber. J'ai la nausée, je me sens mal en point et je me suis complètement vidée.

Telle une forcenée, j'arrive petit à petit, à reprendre le contrôle de mon corps, ainsi que de mes pensées. Je sens que je suis de nouveau moi-même. C'était comme si quelque chose avait pris possession de moi durant un moment qui m'a semblé une éternité.

Et c'est à cet instant précis, quand mon corps retrouve enfin sa liberté, que je l'ai remarqué. Elle était fine, fluide, mais sombre et mystérieuse. Cela ressemblait à une ombre, peut-être une sorte d'orbe noire plus précisément, jaillissant de moi avant de s'évanouir dans l'air.

Retournant à ma préoccupation première, je suis d'abord déroutée par le manque de débris. J'allume la lumière et fixe mon tapis.

Comment décrire ce qui m'est arrivé ? Aurais-je halluciné ? Était-ce un cauchemar encore bien trop réaliste ?

Il n'y a aucun éclat de verre au sol et ma fenêtre est intacte comme si tout cela ne s'était jamais produit, ou bien comme si quelqu'un avait eu le temps de nettoyer et réparer les dégâts.

Me suis-je encore imaginée toutes ces choses ? Ou est-ce quelqu'un jouant habilement avec mon esprit ?

Seul un détail me conforte sur le fait que je ne suis pas folle : les entailles sous mes pieds et une sur ma joue que je n'avais pas ressentie jusqu'ici.

Tout ce grabuge a donc bien été réel, mais ce que je ne m'explique pas, c'est que rien ne laisse transparaître qu'il y a cinq minutes à peine, mon jardin prenait feu et que ma vitre implosait.

– « Cette beauté, sombre comme le fer, est de celles que forge et que polit l'Enfer  » raille avec mélodie ma voix intérieure.

Une chose est claire : quelqu'un se joue de moi et il doit s'en prendre un malin plaisir.

Cela me glace le sang rien qu'en y pensant.

Devil's Lake T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant