Chapitre 82

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« Une démon ? C'est un ange qui a eu des malheurs ; un ange émigré. »

Rivarol.

En arrivant chez moi, je saute sur mon téléphone et essaye de contacter au plus vite Louis. Je tombe cinq fois sur la messagerie quand il me répond enfin la sixième fois. J'ai hâte de savoir ce qu'il va me dire et surtout comment il va se défendre.

– On pourrait se voir, demandé-je du tac au tac lorsqu'il décroche.

– Tout de suite ?

– Immédiatement, oui.

Derrière le combiné, je l'entends soupirer avant de répondre :

– Je fais vite dans ce cas...

Je raccroche sans attendre le reste. Je n'ai pas envie de l'entendre plus. Les mots d'amour, c'est finit pour ce soir. Il me doit des explications. Et dire que je croyais tout savoir de lui, mais alors là, c'est le comble ! Apprendre aussi brutalement que Louis n'est autre que le frère de Seth, me brise le cœur. C'est peut-être exagéré de ma part, cela dit, je ne contrôle pas mes émotions et celles-ci sont mises à rude épreuve ces derniers temps.

Ce dernier arrive une demi-heure plus tard. Je deviens paranoïaque pour les moindres petits détails à présent, car c'est exactement le temps de route qu'il faut entre Crary, chez les Liam, et ici à Penn, chez moi.

J'ouvre la porte et le laisse entrer sans dire un mot. Tête baissée, il semble ressentir que quelque chose ne va pas rien qu'à son visage déconfit, tel un gamin qui se retrouve prit sur le fait par ses parents après avoir fait une bêtise.

– Tu vas bien ? commence-t-il, hésitant.

Comme par hasard, et pour bien appuyer les révélations de ce soir, il est vêtu de sa veste en jean du groupe de rock auquel il appartenait en France avec son slim noir fétiche. Quant à ses cheveux, ils sont ébouriffés comme s'il s'était pris une bourrasque en plein visage.

Je me dirige dans le salon et m'installe sur le canapé. Quant à lui, il reste debout face à moi à me scruter sans vergogne, mais au fond, je sais qu'il est mal à l'aise.

– Maintenant, je veux tout savoir, exigé-je, avec une placidité qui me surprend moi-même.

Ma voix tranchante donne le ton à la discussion à venir. Ses yeux gigotent dans tous les sens, sans doute à la recherche d'une échappatoire. Je peux au moins lui trouver une qualité : contrairement à Seth, qu'il soit au pied du mur ou que je lui demande simplement de me dire la vérité, Louis le fait. Il ne tourne pas autour du pot et ça, j'apprécie. Néanmoins, je me dois de lui montrer ma colère quant à cette découverte fortuite.

Il aurait dû me le dire, c'est seulement ça que je lui reproche.

Louis soupire encore une fois, prend place à mes côtés et me fait face.

– Demande-moi tout ce que tu veux, se résigne-t-il enfin.

– Alors je te le redemande : Seth est-il ton frère ?

Il me regarde intensément et me prend les mains dans les siennes avant de se lancer :

– Il ne l'est pas pour moi, mais effectivement, c'est mon frère. Demi, plus précisément.

Je m'en doutais depuis quelque temps, je l'ai officieusement entendu en quittant la demeure des Liam, mais de l'apprendre de la bouche de quelqu'un, ce n'est pas pareil, ça fait un choc. C'est comme un coup de massue qu'on reçoit sur la tête.

–Je suis désolé de ne pas te l'avoir dit plus tôt. Sans vouloir me donner des excuses, je t'avais prévenu qu'on ne pouvait pas parler de nous aussi facilement, sans tomber dans... comment dire ? Le spoil ? Ça marche dans la vraie vie ce mot ? ajoute Louis, un brin d'amusement dans la voix.

Il tente de détendre l'atmosphère, et dans un sens, il a raison. Je ne dois pas sans cesse m'en prendre à lui, alors qu'il me dit tout dès que je claque des doigts. C'est de ma faute, j'aurais juste dû plus insister concernant sa famille.

– Mais je sais déjà qui tu étais ! C'est de ta famille dont on parle ici.

– Je sais, mais la vie des déchus doit rester le plus discret possible. Plus on se montre, comme les démons le font si bien, plus on risque d'être en danger. L'humanité pense que le Diable décide de tout car c'est le « Mal » incarné et qu'il corrompt le monde, mais ce que les gens ne savent pas, c'est qu'Élohim décide de tout. Un petit écart de notre part, et c'en est fini pour nous. Alors on profite du temps qu'il nous laisse vivre en paix.

– Mon père n'est pas si infâme que ça, rétorqué-je, alors que je n'en pense pas moins vis à vis de lui.

– Tu sais très bien qu'il peut l'être. Il t'a abandonné, Heavan. Il t'a laissé seule dans un pays inconnu à tes yeux. Seule dans une rue à une heure avancée du soir. Tout ça pour quoi ? Dis-le !

Je le regarde, n'osant pas dire ce qui n'est autre que la vérité.

– Dis-le, Heavan, tu n'as pas à avoir honte.

– Parce qu'il a senti que je n'étais pas de son côté. Il a senti que j'avais plus de sang de démon que de sang d'ange, avoué-je enfin.

Le dire haut et fort m'enlève un poids considérable. Comme si la boule qui était là, dans mon ventre, s'était évanouie. Louis me caresse la joue avec délicatesse, à présent, je me sens légère et en paix avec moi-même.

– Tu es ce que tu es. Tu n'y peux rien. S'il veut s'en prendre à quelqu'un, c'est à lui et lui seul. Il savait que la relation avec ta mère allait engendrer des complications, mais il n'a rien fait pour empêcher tout ce qui arrive aujourd'hui. Il ne te soutient pas. Tu ne peux pas t'en vouloir pour des penchants qui sont naturels.

J'acquiesce tout en restant muette. Il a raison sur toute la ligne. Tout ce temps, j'ai culpabilisé de n'avoir pas été capable d'émettre la moindre émotion depuis le jour où mon père m'a fui.

– Je veux tout savoir, Louis, répété-je, après avoir ravalé des larmes de soulagement.

– Par où veux-tu commencer ?

Devil's Lake T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant