Chapitre 28

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Vendredi, 21 avril 2017

Le paysage défile derrière la vitre sur laquelle les gouttes font la course. Une, puis deux, ensuite trois...

Il pleut depuis hier soir, et ce n'est pas près de s'arrêter. Les éclairs déchirent à présent le ciel alors qu'il tonne. Mon humeur est aussi à l'orage, mais je ne peux m'empêcher de trouver Londres belle sous l'averse.

Je me revois enfant, parcourant la capitale avec Betty pour la première fois de ma vie.

Ce jour-là, il pleuvait aussi des cordes. Trempées jusqu'à l'os, nous nous étions abritées sous l'avant-toit de l'Apollo Victoria Theatre. La lumière du hall avait attisé ma curiosité. Il n'y avait pourtant personne à l'intérieur, mais une lueur verte brillait à l'intérieur.

Émerveillée, j'avais collé ma figure aux portes vitrées. J'espérais apercevoir quelque chose. Peut-être un miracle ou un phénomène surnaturel, mais aucune sorcière ne s'était manifestée.

Ma tante s'était empressée de se renseigner aux guichets.

Wicked avait élu domicile à Londres depuis septembre. Malheureusement, il était impossible d'assister à une représentation le soir même. La comédie musicale rencontrait un véritable succès. Tous les billets avaient été vendus depuis longtemps.

En fin de compte, j'avais vu les sorcières du Pays d'Oz quelques années après.

Ces souvenirs me reviennent alors que le taxi passe devant le théâtre. Onze ans plus tard, le show de Broadway est toujours à l'affiche.

Certaines choses ne changent pas contrairement à d'autres.

Mes yeux dévient sur le sac de voyage. Ma mère intercepte mon regard. Elle saisit ma main pour la compresser dans la sienne.

Je ne peux pas retourner. Pas encore.

Je souhaite m'excuser auprès d'elle, mais aucun mot ne sort de ma bouche. Son expression chagrinée me bloque.

Ma vie est ici, à présent.

— Pardonne-moi...

Ses doigts se resserrent autour des miens. Je n'ose plus la regarder. Je sais qu'elle pleure.

Son bébé refuse de retourner au pays avec elle.

Depuis mon emménagement à Londres, je n'avais plus ressenti le lien qui m'unissait à ma mère.

Aujourd'hui, je me sens un peu plus proche d'elle. Plus apaisée. Moins en colère. Les nuages qui obscurcissaient notre relation se dissipent doucement.

Ce n'est pas de sa faute si j'ai quitté Glencoe.

— Arrête de t'excuser ! pouffe-t-elle, émue.

J'essuie la dernière larme traîtresse qui coule sur sa joue.

Les yeux rougis et cernés de mascara, ma mère est belle. Sans faux-semblants. Mon père est tombé en admiration devant elle, et je le comprends.

— Je ne suis pas aussi forte que toi pour dissimuler mes émotions...

Elle sort un mouchoir de son sac.

Il y a une différence entre dissimuler ce que l'on ressent et ne rien ressentir. Mon problème, c'est que je n'éprouve rien. Je me sens comme une coquille creuse. Totalement déshumanisée. Le vide dans ma poitrine s'est agrandi au cours des trois dernières années, et il croît encore...

— Tu es bien plus forte que tu ne l'estimes, lui assuré-je avec un sourire complice.

Elle porte nos mains nouées à ses lèvres.

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant