Chapitre 7

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Tout en passant un coup de torchon sur le bar, je contemple mon reflet troublé dans le zinc.

Harry qui ne rate jamais une occasion de se moquer me surnomme « sa Cendrillon brune ». Je rigolerais certainement si cela n'était pas vrai ! Travailler durement pour un modeste salaire est en quelque sorte ma punition si je veux réaliser mes rêves ; et ce soir n'échappe pas à la règle...

Mon patron s'assure que je revête le maillot de Chelsea. Il ne faudrait surtout pas que je porte les couleurs d'une autre équipe lors d'un match de la Ligue au risque de susciter les foudres de nos clients.

Ici, on supporte les Blues, et il est hors de question que j'arbore mon maillot des Celts. La vieille vareuse qui appartenait autrefois à Harry m'arrive à la mi-cuisse. Je suis obligée de la nouer à la taille pour être plus à l'aise dans mon service.

Le carillon de la porte résonne et annonce l'arrivée de nouveaux supporters, alors que toutes les tables sont presque occupées. La soirée va être longue, très longue ! L'écran géant est allumé et diffuse des publicités avant que le coup de sifflet ne lance le début du match. Pour faire patienter les clients, Harry a mis la sono. Les musiques s'enchaînent depuis une bonne heure. Je me déhanche au rythme de celles-ci pendant que j'installe les chaises de la réserve.

Jack, Barry et compagnie ont déjà tous répondu présents ! Habillés et grimés de bleu et blanc, ils discutent bruyamment. Je leur apporte une bière tandis qu'ils me demandent mes pronostics. Je leur affirme que leur équipe chérie remportera haut la main le match, et ils trinquent à mon nom.

— Ils te considèrent comme un membre de leur club ! me hurle Harry par-dessus la musique.

Je pouffe pour toute réponse, mais mon attention est monopolisée par une personne assise au bar.

Il n'a pas eu le culot de ramener sa fraise ici !?

Je passe derrière le bar et sers les nouveaux arrivés. J'ignore sciemment le client effronté. S'il désire boire, qu'il passe commande auprès de Harry ! Je n'ai pas de temps pour lui.

Ma nuque est parcourue de picotements. Je sais que Scott essaie d'attirer mon attention en me fixant de la sorte, mais je passe à côté de lui sans un mot. Mon mutisme ne le réfrène pas pour autant, puisqu'il passe à l'étape suivante. Il m'attrape fermement par le bras. Ce qui a le don de m'énerver davantage. Je me dégage de son emprise et le fusille du regard.

— Jo, ne sois pas ridicule !

— Ridicule ? Je t'ai appelé et je t'ai laissé des messages, mais tu n'as pas daigné me répondre une seule fois !

— J'avais besoin de temps pour réfléchir, se justifie-t-il.

Il n'a pas le droit ! Pas sur mon lieu de travail. Pas un soir de match lorsqu'il y a autant de personnes.

Je dépose les verres vides dans l'évier alors que d'autres clients entrent en nombre dans le pub, sous l'œil enchanté de mon patron. Les supporters ont une bonne descente et feront notre chiffre d'affaires.

— Est-ce que je pourrais avoir au moins une bière, s'il te plaît ?

Si mes yeux lançaient des éclairs, Scott serait foudroyé à l'instant.

— Demande à Harry. Je ne sers pas les cons !

Il soupire et passe une main sur son visage épuisé. Je décide finalement de le servir car Harry me rappelle à l'oreille le mantra du bon commerçant : « Le client est roi, darling ». Pas toujours, Harry, pas toujours...

Je dépose brutalement le verre devant lui si bien que la bière se renverse, mais ma brusquerie ne l'inquiète pas.

Scott vide son verre, comme s'il était assoiffé, pour se donner du courage. J'attends patiemment qu'il s'explique.

— J'ai réagi excessivement. La voir collée à Tomas m'a fait disjoncter.

J'en ai assez entendu. Ses excuses sont minables.

Le match débute. J'apporte la prochaine tournée à Barry et Jack qui me hèlent pour que je chante avec eux l'hymne. Une main sur le cœur, je rejoins leur table. Au milieu de la troupe de supporters, je fredonne Blue is the colour*. Barry et Jack me compressent entre eux. Émus, ils me gratifient chacun à leur tour d'un baiser sur le front. Ils sont déjà légèrement éméchés, alors que la soirée ne fait que commencer.

Le coup d'envoi lancé, je me détache d'eux et reprends mon plateau.

— Tu aurais dû la voir se trémousser contre lui. Elle était vulgaire dans sa robe remontée sur les hanches, pendue aux lèvres de Tomas ! poursuit Scott quand je reviens derrière le bar.

— Pardon !?

Ma voix s'est faite stridente, et Scott ne semble pas comprendre qu'il a dépassé les limites.

Qu'il a dépassé mes limites. Il a beau être mon meilleur ami, ses paroles me blessent.

D'ailleurs, Lola ne mérite pas d'être évoquée en ces termes... Aucune femme ne mérite d'être traitée de la sorte.

— Ne me dis pas que tu valides son comportement ! Tomas est en matière de femmes le pire connard qui puisse exister sur Terre. Et Lola n'a pas à se dévergonder avec ce genre de gars, elle n'a tout simplement pas besoin de devenir ainsi...

— Ainsi ? Comme moi, tu veux dire ?

— Tu sais bien que je ne pense pas ça de toi !

— Tu le penses plus que tu n'oserais l'avouer.

La moutarde commence à me monter au nez. Je bouillonne de l'intérieur. Je lave les verres, les essuie d'un geste nerveux et sers d'autres pintes aux supporters remontés à bloc.

— Jo, tu ne comprends pas... Elle s'est conduite comme une chaudasse sous mes yeux. Il était normal que j'explose.

Je prends sur moi et essaie de changer la tournure de la discussion.

— Tu comptes t'excuser auprès d'elle ? le questionné-je froidement.

— Pourquoi je le devrais ? Je me souviens nettement des mains de Tomas sur son cul, et idiote comme elle est, elle ne réagissait pas. Elle riait et lui souriait niaisement !

C'en est trop !

— Dégage tout de suite d'ici ! Je ne te reconnais plus !

Il proteste, mais se lève de son tabouret lorsqu'il me voit contourner le bar l'air menaçant.

— La fautive dans l'histoire, c'est elle. Pas moi, alors arrête de me blâmer !

— Sors tout de suite avant que je ne dise quelque chose que je pourrais regretter. Tu te permets de m'insulter, et ensuite, tu humilies Lola. Elle est la meilleure des amies que n'importe qui pourrait avoir. C'est une bonne personne, gentille et aimante. Elle n'a pas à se retenir de prendre du plaisir !

Beaucoup de personnes se sont tues dans le pub et s'intéressent plus à notre conversation qu'au match, mais je m'en contrefiche. Scott voulait discuter, et il a eu ce qu'il voulait.

— Prendre du plaisir ? Tu t'entends !? Elle n'est pas toi. Elle est sensible et romantique.

Sa pique ne devrait pas me faire mal, mais elle me poignarde en plein cœur. Elle brise quelque chose en moi.

— Et toi, tu n'es qu'un être doté d'un esprit étroit et sexiste qui ne la mérite pas !

Je lui lance son verre qu'il évite de peu en se baissant. Celui-ci rencontre avec fracas la porte d'entrée qui s'ouvre sur un nouveau client.

L'homme de la Victoria Line.


*Hymne de Chelsea FC.

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)जहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें