Chapitre 5

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Jeudi, 9 mars 2017

— Arrête de froncer les sourcils ainsi ! Tu vas faire fuir mes clients !

Je relève la tête de mon syllabus et passe une main sur mon front, épuisée par mes révisions.

Harry se moque de moi, tout en essuyant les verres qu'il a lavés. J'ose le fusiller du regard alors qu'il rigole de plus belle.

Freud est le seul gars qui puisse autant me prendre la tête. Même mon boss à côté ne fait pas le poids !

Je referme brutalement le manuel solaire et range les fluos dans ma trousse sous le regard surpris du grand percé. Ce n'est pas dans mes habitudes de renoncer si facilement, mais j'ai eu ma dose pour ce soir.

— Ils s'enfuient rien qu'en voyant ta tête de voyou ! répliqué-je.

Mon propos n'est pas de dénué d'une certaine vérité. Harry dégage quelque chose d'impressionnant avec sa longue barbe noire et ses tatouages qui lui mangent soixante-dix pourcents de son épiderme. Quant à ses yeux aussi noirs que le charbon, ils n'ont pas besoin d'être soulignés de khôl pour capter l'attention. Ils sont naturellement cernés. Il a l'apparence d'une vieille légende du rock qui aurait décuvé de la veille, et il en témoigne le caractère et les goûts à presque trente ans !

Personne, excepté moi, n'ose le chahuter.

Après avoir déposé les verres, désormais propres, sur l'étagère derrière lui, il me jette à la figure le torchon humide. Je râle, tout en me débarrassant du chiffon — que je devine imprégné de bactéries.

Durant mon moment d'inattention, Harry a contourné le bar. Il profite de ma distraction ponctuée de jurons pour m'enlacer. Ses bras se referment autour de moi pendant qu'il accole son torse à mon dos.

— Si tu crois me faire oublier par un câlin le coup de la lavette humide sur la tête, tu peux te fourrer les doigts dans le cul, et bien profond ! maugrée-je.

Mon avertissement lui arrache des éclats de rire qui me bercent alors qu'il resserre son étreinte. Il m'embrasse dans les cheveux avant de me murmurer qu'il est désolé.

Les paupières closes, je rejette la tête en arrière et soupire de bien-être. Le parfum typiquement masculin, Sauvage de Dior que je lui ai offert pour Noël, imprègne son t-shirt. J'adore cette odeur aux notes épicées et boisées.

Protecteur et aimant, Harry joue les grands frères autoritaires la plupart du temps, lorsqu'il ne s'acharne pas à me taquiner.

— Dis-moi ce qu'il se passe, darling. Je vois bien que t'es pas dans ton assiette. T'es plus agressive qu'en général !

Enfin, il me relâche pour s'asseoir sur le tabouret, à côté du mien. Son menton en appui sur son poing, il me fixe avec un sourire espiègle dans le but que je crache le morceau.

— Je te jure que ça va, Harry. Il n'y a rien de spécial, vraiment rien...

Je passe une main sur mes paupières closes. Mes yeux picotent. J'ai l'impression qu'ils sortent de leur orbite. Ça fait au moins trois heures que je lis et surligne les paragraphes les plus importants de mon cours, essayant d'assimiler la théorie alors que la pratique est nettement plus attrayante.

— Ne me redis pas « rien » ou je te mets dehors avec un coup de pied au derrière !

Je souris malicieusement. Je suis tentée de lui répéter « rien », histoire de le faire rager. Néanmoins, je me ravise sous son regard assassin. Il n'est pas d'humeur à se chamailler.

Que pourrais-je bien lui raconter pour satisfaire sa curiosité ?

Ma vie est d'un ennui mortel malgré les super amis que j'ai, mais qui se déchirent. Mon job me convient amplement, pourtant, il me fatigue. Quant aux cours, ils ont toujours été ma priorité. Toutefois, ma concentration ne fait que baisser.

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)Where stories live. Discover now