Chapitre 44

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La porte claque alors que nous venions de rentrer et me fait sursauter par la même occasion.

Je suis frigorifiée et je peine à tenir sur mes jambes. Chris est derrière et tout contre moi. Il s'excuse d'avoir refermé violement la porte.

Je vois qu'il galère à trouver un comportement correct avec moi sans me faire peur. Alors je me retourne et je tente de lui sourire pour le rassurer, mais ma tentative doit plutôt ressembler à une grimace car ses yeux se voilent.

Je pourrais presque croire qu'il va pleurer. Cependant, il garde une expression sévère, avance tout doucement et prend délicatement mon visage en coupe comme s'il avait peur de me casser en deux. Ses pouces caressent mes pommettes et ses yeux essaient de me sonder mais je ne laisse rien transparaître.

Je reste impassible. Je ne craquerai pas. Je suis forte. Finalement, il pose ses lèvres sur mon front et s'y attarde longuement.

Ma température paraît encore chuter davantage. Je frisonne. Et je le sens trembler tout contre moi. Mes barrières peinent à rester debout.

Quelque chose en moi se brise. Mes épaules s'affaissent. Je ne suis plus qu'une enveloppe humaine qui est secouée par des sanglots que je ne retiens plus. Ma respiration s'accélère et je peine à retrouver mon souffle.

Je m'effondre contre lui tandis qu'il m'enserre de ses bras et me compresse fortement contre son torse, sa bouche dans mes cheveux.

Je ne pensais pas revivre l'enfer depuis le 23 août 2014 mais je m'étais trompée.

Cette nuit, j'étais morte de trouille dans cette ruelle alors qu'Arthur me courait après. Il tenait à peine sur ses jambes. Il oscillait de droite à gauche, visiblement ivre mort. Et j'essayais de lui échapper jusqu'à ce qu'il attrape ma main et que le souvenir du 23 août me frappe de plein fouet.

Une poussée d'adrénaline m'a pris et de mon autre main qui tenait mon sac, je l'ai frappé, frappé et frappé encore. Il s'est effondré au sol et j'ai continué comme une acharnée. Il était devenu à mes yeux un sac de frappe. Mes pieds se balançaient dans les airs et lui donnaient des coups de pieds comme à un vulgaire ballon de foot.

Je me suis déchainée sur lui jusqu'à ne plus voir ce que je faisais réellement, aveuglée par la rage.

— Je suis là... Tu es en sécurité maintenant, chuchote Chris contre mon oreille.

Ses paroles ont beau être vraies, je n'en demeure pas moins paniquée.

Je rêve que tout ceci soit juste un cauchemar. Mes pleurs ne tarissent pas. Je suis dévorée par la tristesse et la colère.

Alors que j'attendais Chris dans la ruelle, une pensée affreuse m'a traversé l'esprit.

— J'ai voulu mourir... parviens-je à articuler entre deux hoquets.

Ses mains se resserrent dans mon dos. Je frotte ma tête contre son torse comme si je pouvais rentrer en lui et trouver tout le réconfort du monde.

— Le matin du 24 août 2014, j'ai pris la première plaquette de médicaments qui m'est tombée sous la main pour mettre fin à mes jours. Mais tout ce que j'ai réussi à faire, c'est vomir mes tripes... hurlé-je au creux de ses bras. Et cette nuit, encore, j'aurais voulu être six pieds sous terre !

Chris me berce et ne prononce toujours rien malgré mes atroces confidences.

Il passe un bras sous mes fesses tandis que l'autre s'occupe de mettre mes bras autour de son cou, une fois que je suis plus calme. Il me soulève dans les airs et me porte jusqu'à mon lit. Mais je secoue la tête.

Je ne veux pas dormir.

— Je me sens sale...

Chris hoche la tête et reste toujours silencieux. Il ôte mes baskets et me soutient jusqu'à la salle d'eau. Il m'y laisse le temps de rapporter des serviettes.

— Est-ce que tu peux m'aider, s'il te plaît ?

Il continue d'acquiescer le regard toujours fixé au sol et se charge de me déshabiller. Il ne prend pas la peine de se dévêtir et rentre sous la douche.

L'eau coule sur nos corps : moi, nue et lui, habillé. Ses gestes sont hésitants mais doux et lents. Il savonne mes membres toujours pris par les tremblements et secoués par mes larmes qui coulent et se mêlent à l'eau de la douche.

Chris évite mon regard et les parties de mon corps qui ont été marquées par l'altercation. Les doigts d'Arthur sont imprimés sur mon bras gauche. Je les fixe avant de les effleurer et de m'emparer du gant de toilette.

Acharnée, je frotte de toutes mes forces les traces croyant pouvoir les effacer si bien que Chris est obligé de m'arrêter avant que je ne me fasse mal. Il me rince et me fait sortir de la douche. Le contact de la serviette est léger et chaud. Il me frictionne comme il aurait pu le faire avec un enfant et me ramène dans la chambre.

Pour la première fois, depuis que nous sommes rentrés, je remarque seulement Amour qui nous fixe près de sa gamelle. Je me dirige vers lui pour lui donner une caresse et sa pâtée car le pauvre doit être mort de faim. Il n'a plus mangé depuis la veille mais Chris m'arrête et me rassure qu'il va s'en occuper.

Il m'enfile une culotte et un t-shirt avant de me recouvrir de la couette. À travers la bibliothèque, je l'observe chercher la nourriture d'Amour et le servir. Je peine toujours à me réchauffer tandis qu'il doit bien faire vingt-cinq degrés et claque toujours des dents.

Mes yeux piquent et ma tête pèse une tonne. Chris revient et s'empare de la brosse qui est posée sur la commande. Il me demande à voix basse si je désire qu'il me démêle les cheveux. Je me redresse et lui tourne le dos pour seule réponse.

Le matelas s'affaisse sous son poids tandis qu'il s'assied dans mon dos. La brosse rencontre le sommet de mon crâne et descend délicatement dans ma chevelure nouée et mouillée. Je ferme les yeux et savoure le contact apaisant de la brosse et l'une de ses mains qui effleure mon dos.

— Essaie de dormir un peu... souffle-t-il, avant de se lever pour ranger la brosse et de se diriger vers la cuisine.

— Est-ce que tu vas partir ?

Il secoue la tête et me répond qu'il va s'installer dans la cuisine pour me laisser me reposer.

Je le regarde. Trempé de la tête aux pieds et les yeux rougis, il fait peine à voir.

— Chris... Est-ce que tu peux venir me serrer dans tes bras, s'il te plaît ?

Il pâlit et, sans un mot, il ôte un par un ses vêtements mouillés. Il se glisse sous les draps et reste d'abord un moment loin de moi avant de se rapprocher.

Je m'empare de ses mains que je pose sur mon ventre. Son corps se soude au mien et sa bouche se glisse dans mon cou avant d'y laisser un baiser. Il est brûlant et sa respiration accélérée traduit son état émotionnel.

Mes yeux se ferment alors que le jour commence à se lever et que la faible lumière du soleil perce le ciel tourmenté. Mon corps est toujours pris par les tremblements et mes joues sont toujours humides, mais je me dis que cela passera... peut-être un jour.

— Je me sens vide, soupiré-je, épuisée et victime du malaise qui précède le sommeil.

Chris ne dit toujours rien mais je l'entends lâcher prise. Il pleure dans mon cou et ses bras me serrent tout contre lui.

Je n'ose pas me retourner de peur de pleurer encore plus fort en le voyant le visage baigné de larmes. L'homme aux épaules larges, celles qui semblent pouvoir transporter tout le poids du monde, a lâché les armes et sanglote.

Je me saisis d'une de ses mains et l'embrasse tout en murmurant que je vais bien pour le rassurer à son tour, mais je le sens secouer la tête pour contrer mes dires. Il me rapproche davantage contre lui.

Nos corps s'emboîtent et s'accordent dans un bal incessant de tremblements alors que ses doigts caressent mon ventre et me calment. Mes yeux se referment et les dernières larmes de la nuit coulent sur mes joues éclairées par le soleil levant.

Et les mots de Chris, déformés par ses pleurs, me parviennent avant que je ne sombre dans le sommeil, me sentant protégée :

— Je t'aime, Jo Winsley.

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant