Chapitre 11

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Dimanche, 19 mars 2017

De gros coups sont portés à ma porte.

Je me lève de mon lit en râlant. Je ne sais pas qui vient frapper à ma porte de si bonne heure, mais j'ai décidé de passer mon dimanche en pyjama. Je contemple tout de même mon reflet dans le miroir avant d'ouvrir. Lamentable, ma petite Jo ! Je détache mes cheveux et ouvre la porte.

Une grande blonde me fait face. Je me jette à son cou en hurlant de joie.

— Tante Betty !

Elle crie en même temps que moi, et nous sautillons sur le palier comme des folles.

Bethany Winsley, la sœur de mon père, se rapproche à mes yeux plus comme une cousine qu'une tante. Seulement dix années nous séparent. Cet écart d'âge a probablement contribué à nous souder.

— Arrête de m'appeler ainsi ! J'ai l'impression d'être vieille.

Je referme la porte en riant.

Elle s'est déjà installée sur mon lit et cajole Amour. Le petit veinard miaule sous ses caresses. Je la rejoins avec le café fraîchement passé dont elle accepte une tasse. Je me revois lorsque j'avais dix-sept ans, assise en tailleur, en train de lui raconter ma première fois, et elle m'écoutant attentivement et me rassurant.

Elle est la grande sœur que je n'ai jamais eue. Celle à qui je peux me confier sans la moindre crainte. Celle qui me soutient dans toutes mes décisions.

— Qu'est-ce qui t'amène à Londres ?

Elle me donne un coup d'épaule complice.

— Depuis quand je ne peux plus venir te rendre visite sans raison !? s'offusque-t-elle.

Je lève les mains en l'air et avale une gorgée qui me brûle la langue.

Pendant ce temps-là, Betty cherche dans son sac à main quelque chose qu'elle ne trouve pas tout de suite. Elle vide tout le contenu de celui-ci sur la couette. Elle est aussi spontanée que moi. Lorsqu'un élément la contrarie, elle privilégie l'attaque frontale.

D'une franchise sans égale, elle ne garde jamais pour elle ses remarques. Ce qui lui attire souvent les foudres de la famille. À l'inverse de mon père, elle n'a jamais été perçue par mes grands-parents paternels comme l'enfant chéri. Qu'elle réussisse et surmonte plusieurs caps de sa vie professionnelle et sociale leur importe peu.

Avec un sourire timide, elle me tend un écrin noir dont la couleur mate trahit l'usure du temps. Je l'accepte sans savoir ce que la boîte renferme. Oui, c'était mon anniversaire il y a une dizaine de jours. Même si Betty s'est toujours montrée très attentionnée avec moi, elle ne roule pas sur l'or.

Nous préférons nous offrir aux occasions des présents moins onéreux et profiter de la présence de l'une de l'autre que de s'endetter. Après tout, ne dit-on pas qu'on n'est riche que de sa famille et de ses amis ? Aux côtés de la cadette de mon père, l'expression prend tout son sens.

— Ouvre-la... s'impatiente-t-elle.

À l'intérieure de la boîte à bijoux, je découvre une broche délicate. En argent et ornée de deux pierres violettes. Elle symbolise le cœur de l'Écosse formé de sa fleur nationale, le chardon. Elle est sublime. Je la caresse du bout des doigts.

La Luckenbooth, cette broche traditionnelle, se transmet dans les familles écossaises depuis des générations. Un tel bijou d'orfèvrerie dévoile le talent des anciens bijoutiers-joailliers qui façonnaient ce gage d'amour. Autrefois, le marié l'offrait à son épouse le jour de leurs noces, avant qu'elle ne soit portée par leur nourrisson pour le protéger des esprits malins. Cette coutume est désormais oubliée.

— C'est pour moi ?

— Tu voudrais qu'elle soit pour qui d'autre !? rit-elle, un trémolo dans la voix. Joyeux anniversaire, Jo. Oscar n'a pas eu l'occasion d'épouser ta mère, mais je sais qu'il avait l'intention de la demander en mariage. Il avait exprès acheté cette broche pour honorer les traditions ancestrales. Elle te revient de droit.

Elle me regarde, les yeux brillants.

L'émotion est palpable. Je ne peux imaginer ce qu'elle a ressenti lorsqu'elle a retrouvé l'écrin dans les affaires de mon père. Même si elle était extrêmement jeune quand il est décédé, ses souvenirs semblent être restés intacts à l'épreuve du temps. Elle est le seul lien heureux qui me relie encore à lui.

Grâce à elle, sa mémoire revit, et je le connais un peu mieux. 

Victoria Line (T1 de Thistly Heart)Where stories live. Discover now