Un hibou dans la tourelle,

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J'avais focalisé mon esprit sur l'écriture de mon manuscrit pendant des nuits entières. Pour oublier, sûrement que Ben ne m'avait pas donné signe de vie. Je commençais d'ailleurs à douter qu'il puisse le faire un jour. J'étais sans doute arrivée trop tard, comme à mon habitude. Les quelques moments volés ne suffisaient pas à réparer la distance imposée par Ben. C'était de ma faute. Je ne lui en voulais pas. Comment aurais-je pu ?

Pour ne pas sombrer dans une déprime dont je ne voulais plus jamais porter le fardeau, j'avais fait ce que je savais faire de mieux ces temps-ci. Ecrire. À m'en faire mal aux mains, à force de taper sur les touches de mon clavier. À m'en faire mal à la tête à force de peser chaque mot pour qu'ils aient toujours plus de sens. À m'en faire mal au cœur en replongeant dans les souvenirs douloureux que j'avais occulté avec véhémence. L'effet cathartique de cet exercice rendait ma vie beaucoup plus dépouillée. Je n'étais plus sujette à la colère. Je menais mon existence, consciente que certaines choses devaient changer. Comblée de m'être débarrasser de ce qui entachait ma légèreté. Et même si celle-ci n'était pas complètement revenue, je savais aussi que ce n'était qu'une question de temps.

J'errais en trainant des pieds dans les petites ruelles de mon arrondissement. Chantal, elle aussi, prenait son bol d'air, tout en savourant la fraîcheur des matinées d'été. Elle savait tout comme moi que ce serait de courte durée.

Au loin, Marcel buvait son café assis sur les cagettes en bois à l'arrière boutique de sa poissonnerie. Il le faisait tous les matins. Nous étions samedi et il n'allait pas déroger à son petit rituel. Perdu dans sa contemplation, il ne fit pas attention à ma silhouette.

Parfois, j'aimais bien partager ce moment avec lui. Il me racontait alors l'artifice qu'avait été sa vie. Ne manquant jamais de me faire rire ou m'apprendre une fable qui me servait de leçon par la suite. J'avais beaucoup d'affection pour Marcel. La relation paternaliste qu'il avait nouée avec moi m'avait surprise et au fur et à mesure, j'avais joué le jeu.

Je me rapprochais de son campement de fortune. Quand il me vit, son visage s'étira d'un large sourire. Ce n'était pas la chose plus naturelle le concernant, je trouvais cela doublement gratifiant.

Il s'empressa de se relever, tout en m'indiquant un petit siège parmi les palettes entassées. Il venait de s'engouffrer à l'intérieur de sa boutique. Je pris rapidement mon aise, indiquant à Chantal le chemin de mes cuisses pour qu'elle s'y affale avec ferveur. Je comprenais l'adoration de Marcel pour cet endroit. La vue qu'il avait, offrait un spectacle sur la plus longue artère du 7e arrondissement. Au milieu des voitures et de la pollution, l'effervescence de la ville y était concrète. Les gens faisaient leur marché, heureux, sous les rayons du soleil d'été. J'aurais pu les contempler toute la journée.

Marcel chassa mes pensées en me tendant une tasse de café bien chaude. Il s'assit au même endroit qu'il avait quitté plus tôt. Je le remerciais silencieusement.

Nous passâmes quelques instants sans un mot, à observer la foule au loin qui se pressait autour des devantures de magasins. Marcel ne semblait pas s'inquiéter du monde qui attendait à l'intérieur de sa boutique. De là, où nous étions, nous ne les voyions pas, de toute façon.

- Alors mon p'tit, t'es bien silencieuse aujourd'hui. Finit-il par me dire.

Ses yeux rieurs scannaient ma réaction. Je relevais la tête pour lui faire face.

- Ça va. Dites-voir Marcel, si Jeanine vous offrait un livre pour vous faire passer un message, vous trouveriez ça attendrissant ou pas du tout ? Lui demandais-je candide.

Il pris un instant pour réfléchir.

- Je lis pas d'livres, mon p'tit, alors Jeanine, elle va certainement pas m'offrir un bouquin pour m'faire passer un message. Plutôt, elle m'engueulera oui ! Rigola t-il bourru.

- Ah...je n'avais pas pensé à cette hypothèse. Répliquais-je, confuse.

- Tu fais passé des messages par des livres toi ? Tu n'peux pas les dire à voix haute plutôt ? Vous, les jeunes, vous avez une multitude d'hiboux dans la tourelle. Ça n'tourne pas rond là-haut ! Ça doit être fatiguant, d'être compliqué nan ?

Les yeux rivés dans mon café, je peinais à réprimer un fou-rire. Dis comme ça, bien-sûr que cela paraissait complètement con.

- Et le message, il est passé au moins ? Me demandais Marcel, en m'apostrophant avec entrain.

- Je n'en sais foutrement rien. Mais à mon sens, je pencherais plus volontiers vers le non.

Il leva les yeux au ciel. Signe que je l'avais définitivement exaspéré. Il devait se demander sur quel genre de planète il vivait. La même où l'on apporte des livres pour s'excuser d'avoir été stupide.

- Tu sais mon p'tit, à mon époque quand on devait faire la sérénade, on partait en mobylette, une rose sous le bras et un p'tit mot d'amour en prime et le tour était joué. Pas b'soin de faire des manières. Le tout s'était d'être suffisamment sincère pour que l'autre le voie. Parfois ça marchait, parfois pas. Me glissa t-il, calmement.

- Moi, je dépose des livres avec des petites phrases soulignées qui je l'espère en disent suffisamment pour ne pas à avoir à les dire à haute voix ! Ironisais-je.

- Bah, chacun sa manière mon p'tit. Tu me diras si celle-ci a été efficace. C'est toujours bon à prendre.

Son clin d'œil, me fit sourire. Evidemment qu'il en serait le premier informé. Il ajouta :

- Mais s'il est trop con pour saisir la nuance, laisse tomber mon p'tit. Tu n'vas pas perdre ton temps pour un crétin qui ne comprend pas la portée de ton message. C'est quand même pas tous les jours qu'une jolie poulette vient déposer des livres devant la porte. Et rien que pour ça, il devrait déjà avoir rappliqué depuis belles lurettes !

Mes joues se mirent à rougir. C'était de loin, la chose la plus gentille que Marcel m'avait dite. Et je savais que grâce à lui, je retrouvais le sourire pour la journée.

- J'y r'tourne mon p'tit. Jeanine va criser si elle sait que j'me la coule douce dehors depuis vingt minutes. Je compte sur toi pour rien lui dire !

Motus et bouche cousue fut mon crédo. Je le remerciais poliment tout en le regardant disparaître à l'intérieur de la poissonnerie.

La journée s'annonçait finalement bien plus belle que ce à quoi je m'attendais. Et j'allais laisser mes pieds me guider dans le Paris estival. Celui que j'aimais tant ! Le baume au cœur, même si la place qu'il y avait à l'intérieur demeurait vide.

En fin d'après-midi, exténuée, d'avoir traversé les longues avenues à pas de géant, je gagnais ma place en terrasse au Bon Jovi. Pour la première fois depuis longtemps, je savourais cet instant où j'étais la seule à pouvoir déterminer mon chemin.

Dans ma tête, je refaisais des plans sur la comète. Je m'autorisais ce doux péché qu'était le droit de rêver. Armée d'une feuille et d'un stylo, je rédigeais à la hâte les quelques mots qui me permettraient de goûter pleinement à la vie.

J'y avais longtemps réfléchi. Il me semblait qu'à cet instant, c'était probablement le meilleur des choix. 

Tandis que je raturais mes phrases, peinant à trouver le bon angle d'attaque, je ne sentis pas la présence d'une autre âme que la mienne. Pourtant, le bruit de la chaise qui glissait en face de moi, m'obligea à relever la tête. 

Les yeux écarquillés, j'oubliais même ce que j'étais entrain de faire quelques secondes plus tôt. À ce moment-là, plus rien n'avait d'importance, si ce n'était ce regard que je désespérais un jour de revoir. 


Note de l'auteur : 

J'ai peiné cette semaine à écrire la suite. J'ai même hésité à publier ce chapitre parce que je n'étais pas pleinement convaincue. Mais je me suis dit que je me mettais des barrières pour rien et qu'au pire, si il fallait, je corrigerai plus tard. #jeracontemavie

En même temps, j'suis contente du retour du Marcel ! J'espère que vous aussi :) 

Et puis, le prochain chapitre du coup, risque d'être plutôt marrant à écrire... 

Bises,

Em. 



20 ans et quelques | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant