Le Bon Jovi - II

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Il afficha sur son visage un rictus à peine visible et me gratifia d'un geste dont il avait le secret : le haussement de sourcils. Celui-ci en général signifiait tout le dédain qu'il pouvait éprouver à mon égard mais aussi toute l'affection dont il était prisonnier.

Il me toisa.

- Je n'écris pas mes mémoires, je réfléchis. La réflexion est un art dont se prive les autres, parce qu'ils ne prennent pas le temps de se poser dans un coin afin de trouver un moyen de devenir meilleur.  Je ne cherche pas ton absolution Emma, tu cours de toute façon après une cause qui te dépasse. 

Ma seule et unique réponse à cette tirade fût une gorgée de vin comme pour lui dire d'arrêter de m'ennuyer avec sa spiritualité à deux francs six sous.

Zoé pris alors la défense de Milo, comme à son habitude, arguant sur notre ouverture d'esprit à Axelle et moi, coincée dans une barrique pour clandestin. Tout le monde s'insulta joyeusement, dans une sorte de cohue magistrale basée exclusivement sur l'amour que nous nous portions. Mais l'heure n'était plus aux algarades, Zoé avait besoin de verser son psaume sur la tragédie mesquine dans laquelle elle avait à nouveau basculé. Il fallait dire que tomber amoureuse en série de tous les connards de Paris pouvait s'avérer épuisant à force. Axelle et moi échangeâmes un lot intempestif d'œillades à peine voiler. Milo s'en amusa, soufflant à profusion un ensemble d'onomatopée sensé ponctuer les fins de phrases de Zoé. Le soliloque dura encore une bonne dizaine de minutes durant lesquelles Axelle se perdit en chemin, Milo déchiqueta sa serviette en papier et où je feignais l'ahurissement. Quand elle eut enfin terminé, elle planta ses yeux marrons dans les notre, signe qu'il était à présent temps d'ouvrir le débat après l'entière exposition des faits. De mon point de vue, c'était le moment le plus redoutable de notre amitié. Axelle pesait ses mots, Milo partait en envolée lyrique et on me laissait toujours le soin d'être celle qui disait la vérité qui fâche.

Je tentais hasardeuse.

- Il t'a quand même dit qu'il ne t'aimait pas non ? question à laquelle Zoé répondit à l'affirmative. Je poursuivis : 

- Donc, c'est plutôt clair, il ne t'aime pas. 

Zoé continua :

-  Bah, dis-moi ce que t'en penses ?

 « Je pense qu'il ne t'aime pas » pensais-je. Mais pour éviter de rendre cette soirée un soupçon moins drôle que ce qu'elle n'était déjà, je préféra me tourner vers Axelle, le regard suppliant pour qu'elle prenne la parole, noie le poisson à ma place et que nous puissions reprendre notre apéritif sans l'ombre d'une discorde.

Il y a des soirs où faire preuve de sincérité ne me bottait guère. Inexorablement, en rentrant dans le débat de l'amour au sens unilatéral du terme, j'allais me heurter à un ressenti que je refoulais jusqu'à présent à merveille. Je pris donc la décision de laisser Milo et Axelle se dépatouiller à sauver l'égo effrité de notre meilleure amie.

Quelques minutes plus tard, le sujet tomba dans l'oubli. Nous décidâmes de refaire le monde autour de quelques verres en trop, alliant débat houleux sur la position de la femme dans notre société, la politique très à gauche d'Axelle, l'éducation catholique de Milo et le sens de la vie. Evidemment, si la solution à tout cela se trouvait au fond d'un verre de bourgogne, ça se saurait. C'était le moment de quitter les lieux, toujours dignement, toujours bruyamment avant que chacun ne regagne ses quartiers traversant la noirceur des nuits de janvier.

20 ans et quelques | Terminée |Όπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα