Peine et Whisky,

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Voyant qu'elle ne réagissait pas, je l'invitais à monter chez moi. Elle n'allait pas s'épancher des heures durant, les fesses sur le trottoir. Une fois dans mon appartement, je fis bouillir de l'eau, préparant ma mixture miracle contre le spleen carabiné.

Zoé fit apparition dans ma cuisine, elle s'assit sur une des chaises de bar et pris sa tête entre ses deux mains.

-  C'est ridicule, je le sais très bien... Me souffla t-elle.

Au même moment, j'entendis quelqu'un tambouriner à la porte. Je reposais précipitamment les tasses sur le plan de travail et me dirigeait vers l'entrée. Alors, que je posais ma main sur la poignée j'entendis la voix d'Axelle beugler que quelqu'un se décide à lui ouvrir. Ni une ni deux, je lui intima de se taire et lui ouvrit l'antre de mon domicile.

Je lui fis signe de me suivre jusque dans la cuisine, où se trouvait toujours Zoé et son cafard. Nous n'étions sûrement pas de trop à affronter la crise soudaine de notre amie. Je remerciais Axelle en pensée d'avoir pris l'initiative de voler à mon secours.

Axelle se glissa à côté de Zoé, la main posée dans son dos en signe de réconfort. Elle se décida rapidement à évoquer le trouble qui régnait dans la pièce à renfort de questions.

- Tu sais Zoé, si tu n'aimes pas Inès, pour des raisons qui m'échappent, mais qu'à la limite je veux bien essayer de comprendre, tu seras pas obligée de la voir. Milo peut aussi venir sans elle, et on continuera nos rendez-vous tous les quatre, comme d'habitude. Déblatéra Axelle.

-  Ce n'est pas que je n'aime pas Inès.  S'offusqua Zoé l'air passablement sur les nerfs.

-  J'avais dit à Milo qu'il devait te rendre les cent euros que tu lui a prêté le mois dernier, mais il est tout le temps à la dèche en ce moment. À croire qu'il vit comme un nabab sur le dos de tout le monde. 

Argua encore une fois Axelle, comme si il était nécessaire pour elle, de trouver mille et une excuse qui expliquerait le comportement déviant de Zoé à l'égard de Milo. Pourtant je me doutais qu'il s'agissait plus que de seulement cent balles dans la nature.

-  Axelle, tu crois vraiment que je serai sortie de table si Milo me devait de la caillasse ? Il en doit à toute la terre, c'est même étonnant qu'il ne se soit pas encore pris une tarte dans la tronche par un créancier mécontent. Si je lui ai prêté de l'argent, je ne suis pas assez stupide pour penser les revoir un jour. S'énerva Zoé, tout en haussant les épaules.

Pas faux, pensais-je. 

La dernière fois que j'avais prêtée un centime au Lord, remontait à samedi soir. Je savais d'avance que je n'en reverrai plus jamais la couleur. En matière de finance, ce mec valait que dalle en bourse et j'avais bien compris qu'avec lui, je faisais du mécénat.

Zoé prit sa respiration et reprit : 

-  Vous avez déjà vécu cette sensation, vous savez celle qui vous pousse à abandonner quelque chose pour une bonne raison et qui vous satisfait en ce sens ? 

Nous acquiesçons en cœur. J'avais abandonné le rêve d'être un jour danseuse étoile pour la simple et bonne raison que je n'avais pas le niveau, me dis-je. C'est vrai que c'était plutôt valable comme argument.

-  Ce soir, la bonne raison s'est envolée. Il se pointe avec une fille ! J'ai passé des années à l'aimer en silence jusqu'au jour où j'ai su qu'il était gay. Et ça m'allait bien. Qu'est-ce que je pouvais y faire hein ? Il aimait les hommes. Il fallait que je me rende à l'évidence, il ne serait jamais amoureux de moi. J'ai renoncé pour une raison recevable. Alors pourquoi, maintenant je le vois gambadé main dans la main avec une nana ? Parce que c'est son âme sœur, c'est ça ? Et moi j'étais quoi pendant tout ce temps ? La bonne copine, le bouche trou de ces nuits agitées, celle qu'on aime de loin mais avec qui on n'a surtout pas envie d'être. Celle qui te fait à bouffer quand t'as plus rien dans le frigo et qui prend ta défense à chaque fois que tu te fais tailler un short, parce que t'es trop con ! La sympathique pigeonne que tu nargues en arrivant bras dessus bras dessous avec ton rat de bibliothèque qui en plus de ça te regarde comme si tu étais la septième merveille du monde. Milo, qu'on se le dise, c'est juste qu'un putain d'égoïste ! Qu'il aille se faire foutre si il pense que je vais continuer à lui passer de la pommade dans le dos à chaque fois qu'il se sent froisser ou agresser par le monde. Il aurait au moins pu m'en parler au lieu de m'imposer à avaler la pilule en public. Et je le déteste de me faire réagir comme une vieille harpie ! Emma, ouvre un truc plus fort là que ta tisane à la camomille. 

Un geste automatique, me fit me retourner vers l'armoire qui contenait mes réserves personnelles. Je dégottais une bouteille de scotch offert par ma grand-mère à l'occasion de mon installation à Paris. Ça n'avait d'ailleurs eu aucun sens, je ne buvais jamais de whisky mais je la soupçonnais d'avoir voulu vider ses vieilleries  contenues dans ses placards.

Axelle était restée stoïque depuis la débâcle de Zoé. À vrai dire, personne n'avait osé en rajouter une couche. Je n'allais pas feindre d'être ahurie, même si je l'étais vraiment. Je n'avais jamais eu vent des sentiments de Zoé à l'égard de Milo. Même si en y réfléchissant, leur lien était plus étroit qu'il n'en avait l'air. Nous trinquâmes nos shots d'alcool en symbiose parfaite. Tout ça, valait mieux qu'un long discours.

Axelle se racla la gorge et s'adressa à nous.

-  Je crois qu'il faut qu'on rentre un peu à la maison. On ne va pas se le cacher, personne n'a l'air de respirer le bonheur dans cette pièce, donc au lieu de ruminer notre week-end en intra-muros, on pourrait tout aussi bien se régénérer en province avant que l'une d'entre vous ne fissure vraiment. En plus, Rémi fait une soirée, samedi. Ça pourrait être drôle de se pointer non ?

Je n'étais pas contre l'idée de rentrer à la maison. Depuis que j'étais partie, je n'avais pas trop eu le temps d'y repenser. L'air de la montagne et les abords du lac d'Annecy me manquaient pourtant. J'avais toujours adoré la vie là-bas.

L'idée fit son nid dans mon esprit et je fus partante pour une virée revigorante. Mais avant de prendre mes distances avec Paris l'espace de deux jours, j'avais une chose à régler. Le récit de Zoé m'avait fait de la peine mais me donnait le courage d'enfin formuler une réponse au message de Ben. Je croisais les doigts pour qu'il ne soit pas trop tard.


Note de l'auteur :

Une virée à Annecy, ça tente quelqu'un ?

20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now