Même la nuit la plus sombre prend fin,

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Milo s'empressa de regagner le hall d'entrée afin d'ouvrir à la pressante et néanmoins fureur de Zoé. Sale quart d'heure en perspective.

Je fis rapidement demi-tour. Avant de m'adonner au regard de Louis, j'avais surtout besoin de m'assurer que la venue de Zoé n'allait en rien provoquer une guerre dont personne ne sortirait vivant.

Je quittais la pièce, jetant un dernier coup d'œil au visage déçu de Louis. Je sentais bien qu'il attendait que j'aille vers lui, mais ce n'était pas le moment. Et j'en fus désolée.

Je percutais alors de plein fouet la silhouette de Zoé. Au milieu de ce petit sas, il n'y avait plus que nous trois : Milo, Zoé et moi. Les mousquetaires de XXI siècle ! Trois cœurs qui battaient, trois personnalités compliquées, mais trois personnes qui avait une chose en commun : l'amitié. Et il était hors de question que nous balancions ce que nous avions si joliment construit. Je l'avais fait avec Louis. Je ne le referai plus avec personne.

Je venais transpercer le silence de ma voix fluette :

- Avant que vous ne vous disiez des horreurs, avant que ça dégénère pour des raisons qui sont les vôtres. S'il vous plait, pouvez-vous penser à toutes les fois où vous avez eu besoin l'un de l'autre.

Dans ma litanie suppliante, je n'avais pas remarqué les regards en coin que se lançaient Zoé et Milo. Leurs bouches s'étiraient d'un sourire plaisantin. Et je me sentie comme une gourde.

- J'ai loupé un épisode ? Répliquais-je.

- Quelques uns, oui. Rigola Zoé.

Je scrutais mes deux compères dans l'espoir d'y déceler une explication. Mais aucun des deux ne semblaient prêter attention à mon désarroi.

D'accord, me dis-je. Ils m'ont fait traverser le centre de Paris en courant, j'ai manqué de me fracturer cent fois la cheville, mes aisselles sentaient la chaussette morte et mes cheveux étaient en pagaille et tout ça, pour rien.

Mes yeux lancèrent des éclairs. De l'apaisement, je m'étais transformée en boule de feu.

- Disons, qu'il nous fallait un petit subterfuge pour te faire venir jusqu'ici. Me dit tranquillement Milo, masquant très inefficacement sa moquerie.

Mes bras m'en tombèrent.

- T'es entrain de me dire que tu savais que j'allais venir chez toi ? Demandais-je crédule.

Milo opina du chef. Zoé sentie mes muscles se contracter, parce qu'elle vint caresser mes cheveux dans un geste qui se voulait tendre.

- On s'est déjà tout dit avec Milo. Le bébé, notre engueulade, mes sentiments pour lui. Tout ça c'est réglé. Alors, on a décidé de te filer un petit coup de pouce. Tu nous remercieras plus tard. Fit-elle en pointant son doigt dans la direction du salon.

- Louis, c'est le coup de pouce ? Ricanais-je, blessée d'avoir été si naïve.

Les deux m'observèrent avec bienveillance tout en acquiesçant silencieusement.

- Et le bébé ? Tentais-je hasardeuse.

- On t'expliquera. Me répondit Milo, comme pour couper court à cette conversation.

J'étais mélangée entre l'envie de les écarteler et celle de leur offrir tout mon amour. Je détestais être prise au dépourvue. Ils devaient le savoir. Pourtant une petite voix intérieure fit taire ma rancœur naissante. Je savais qu'ils avaient fait le bon choix en me poussant jusqu'ici. Seule, je n'aurais peut-être jamais eu le courage de me tenir une nouvelle fois debout face à Louis.

- Par contre, l'option Rémi, était-elle nécessaire ? Chuchotais-je.

- On s'en occupe. On va aller dîner quelque part. Ajouta Zoé.

- Ah... et la pizza ?

- Il y a jamais eu de pizza.

Milo semblait fier de son coup de poker. Moi même je devais admettre qu'ils avaient poursuivi leur plan avec une main de maître. On aurait dit deux véritables experts de la supercherie. J'allais me méfier à l'avenir. Ils étaient redoutables en matière d'escroquerie.

- L'autre blaireau de Rémi risque de faire une syncope. Marmonnais-je, le rire au bord des lèvres.

J'aurais pu payer cher rien qu'à voir sa tête de truffe décontenancé.


Le ballet de cette incroyable coalition se voulait des plus efficaces. Au bout de cinq minutes, il ne restait plus que moi et Louis dans le salon.

Soudain, l'angoisse me montait à la tête. Je ne savais pas comment me mouvoir face à lui. Ni même comment embrayer sur une conversation avec la raison d'une partie de ma colère de ces derniers mois qui se tenait devant moi. Il fallait que je sorte de là, d'une manière ou d'une autre. Parce que mon cœur allait littéralement se décrocher de l'intérieur. Je ne savais pas si c'était dû à la chaleur ambiante, mais une fine goutte de sueur vint perler à la naissance de mes cheveux.

- Si on sortait ? Finit-il par me dire.

L'air était lourd. L'été s'infiltrait dans chacun de mes pores. La fin de journée laissait présager à une nuit tout autant suffocante.

Je guidais Louis sur les quais de Seine. J'avais l'impression que l'effet de l'eau rendait ma respiration plus calme. Collée contre la rambarde, au dessus du fleuve, j'observais Louis du coin de l'œil. Il n'avait pas dit un mot depuis que nous étions sortis de chez Milo. Il contemplait le paysage avec autant de similitude qu'un enfant qui découvre le monde, naïvement, simplement.

Le soleil glissait dans le ciel. Il semblait s'éteindre pour laisser place à une douce obscurité. Le ciel devenait orangé et la vue de la tour Eiffel au loin rendait au paysage la totalité de son éclat. C'était ahurissant.

Louis ne perdit pas une miette du spectacle, les yeux écartelés, le sourire en coin. Je venais de lui offrir un Paris de carte postale et je jurais que ce n'était pas dû au hasard. Peut-être étais-ce une façon silencieuse de présenter mes excuses ?

Soudain, sans que je ne puisse y faire quoique ce soit, je sentis une larme perlée le long de ma joue. Elle s'était échappée accidentellement, comme si trop longtemps elle attendait son heure pour s'en aller.

Je sentis la main de Louis caresser mon épaule. Ce geste, aussi insignifiant qu'il puisse être, me procurera ce réconfort que je cherchais depuis des mois. Je n'aurais su l'expliquer. Ni même le comprendre. Évoquer ce trouble causa alors une déferlante sur mon visage. Il m'était impossible de lutter plus longtemps. Pas cette fois. Le chagrin striait mon visage et chaque larme causée me soulageait.

Bientôt, le corps de Louis enveloppait le mien. Collée contre son torse, je pouvais sentir les battements irréguliers de son cœur. Les mêmes battements qui me rappelaient que notre peine était commune. Qu'elle ne m'appartenait pas totalement. C'était salvateur, de partager cette instant si puissant avec la seule personne capable de rafistoler un tant soi peu les morceaux de cette tristesse.

Accrochés l'un à l'autre, comme une encre à son bateau, le monde continuait de tourner, sans nous.

Je le sentis effleuré mes cheveux du bout des doigts et plonger son visage dans mon cou. Un geste banal qui dénotait. Depuis combien de temps, nous n'étions nous pas sentis ?

Il m'avait tellement manqué. Et même si plus rien ne serait jamais comme avant, mon étreinte se voulait plus pressante encore.

- Emma. Souffla t-il à mon oreille, suppliant.

Et je compris. Je compris qu'on pouvait avoir aimé, s'être fait du mal et pardonner. 


"Même la nuit la plus sombre prend fin et le soleil se lève" - Victor Hugo. 


Note de l'auteur : 

Non, aujourd'hui je ne ferai pas de commentaire. Lisez seulement :) 

20 ans et quelques | Terminée |Donde viven las historias. Descúbrelo ahora