Flashback sur fond de triptyque,

736 100 14
                                    


Le Bon Jovi ressemblait à s'y méprendre à une énorme fourmilière. Le monde s'afférait à rentrer et sortir, remplissant ainsi la terrasse, d'habitude si calme. Le vernissage de Milo avait rameuté du peuple et je n'avais pas eu à douter de sa capacité à réunir autant de gens tel un expert des relations publiques qu'il était.

J'étais en retard, comme souvent. Peu déterminée à m'y rendre de par la pression qu'avait exercé Milo sur ma venue. Et comme une enfant revêche, je trainais des pieds consciemment pour retarder mon arrivée.

Surtout, je repensais à ma soirée de la veille, le sourire aux lèvres. J'avais oublié les sensations que procure le début des émois. Le flottement lancinant et délicieux que ramène la nouveauté. Etais-ce justement parce que c'était nouveau ou parce que c'était spécial ? Je n'en savais rien. J'avais laissé Ben, le matin même, pour retourner à ma réalité, promettant de lui écrire bien vite.

Toujours était-il que j'étais restée plantée un moment devant la porte du Bon Jovi avant de rentrer dans l'arène. Je n'avais pas la moindre idée de la liste des invités et à mesure que j'avançais dans le bar, je me rendais compte qu'il était à présent trop tard pour demander. Je le sus au moment même où j'avais heurté Rémi de plein fouet.

- Surprise ! S'écriait-il. J'eus instantanément envie de m'enfuir à tout jamais. Pourquoi n'avais-je pas pensé que Milo l'avait lui aussi prévenu ?

Misère, pensais-je tout bas.

- On t'attendait, reprit-il enjoué. Le sourire scotché au visage, engoncé dans sa chemise trop petite pour y mettre ses bouées de sauvetage.

Je lui marmonnais un 'ah bon' à peine audible et ne fit pas grès de ma politesse, celle-là même que je n'avais nullement envie de mettre en avant en sa présence.

Je pris congés furtivement, pour fendre la foule de spectateurs, ne prêtant pas attention à qui je bousculais. Je peinais à trouver Milo dans tout ce marasme. Ni Axelle, ni Zoé ne firent leur apparition non plus, me laissant la liberté de vagabonder à l'aveuglette.

Un champ électromagnétique m'emmenait jusqu'au fond de la pièce, dans un coin plus isolé, où mes yeux furent immédiatement attirés par une série de photos en noir et blanc.

Il s'agissait d'un triptyque de portraits exposé dans des cadres noirs, grand format. Difficile de passer à côté, tant l'expression du modèle laissait hagard et perplexe.

Il me fallu un instant de répit pour comprendre que la personne photographiée n'était autre que moi-même.

La première photographie avait été prise sur le vif, un soir au Bon Jovi. Je tenais mon verre de vin entre les mains, les sourcils froncés.

La deuxième image avait été capturée chez Milo. Assise sur le tabouret en face de son chevalet, un genou replié, le menton posé dessus, j'avais l'air ailleurs, les sourcils froncés.

Le dernier cliché datait d'il y a quelques semaines. Un de ces fameux dimanche dans les jardins du Luxembourg, vautrée sur une chaise au bord de la fontaine de Médicis. Je pensais que Milo prenait les oiseaux en photo ce jour-là. Il m'avait bassiné avec sa nouvelle passion pour les volatiles. Je n'y avais vu que du feu.

Il avait visiblement jeté son dévolu, sur la fille assise à ses côtés, la tête dans ses mains, les deux jambes posées sur le garde corps, les sourcils froncés.

Il était inutile d'être un éminent érudit pour comprendre que ces trois clichés avaient deux choses en commun. La première, il était évident qu'il s'agissait de la même fille sur les trois photographies. La deuxième, elles reflétaient toutes l'agacement, la contrariété et la crispation du modèle. J'aurais pu appelé l'œuvre le ' triptyque de l'irritation' mais ce con de Milo avait fait beaucoup mieux.

Un écriteau en adhésif trônait au dessus des trois cadres, impossible de ne pas le voir, tant l'écriture paraissait imprégnée dans le mur. La valse de ces quelques lettres reflétaient l'exposition des photos, j'en restais stoïque pendant de longues minutes.

J'étais partagée entre l'envie de commettre un meurtre imminent sur la personne de Milo et en même temps, une voix sourde me susurrait que je ne devais y voir qu'une preuve infinie de l'amour qu'il me portait. Je n'arrivais pas exactement à déterminer dans quelle stratosphère mon humeur allait rejaillir.

J'entendis soudain, derrière moi.

- L'allégorique résignation de l'être humain...

Je fis volte-face. Surprise d'avoir été interrompu dans ma contemplation. J'avais cru un instant être hors du monde.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? Demandais-je, plongée dans une incompréhension sans pareille. Je ne m'attendais pas à ça. Rien, depuis des semaines, ne m'avait préparé à cette apparition. J'aurais aimé le savoir, ne pas paraître sans dessus dessous. J'avais beau essayé de contrôler mes émotions, j'étais certaine que cela n'avait pas échappé à mon interlocuteur.

Cette fois-ci, ce n'était pas des yeux lagons qui me firent de l'effet, mais bien deux pupilles noirs, que je connaissais que trop bien. 



Flash info : 

Je n'avais pas prévu de publier ce soir, mais aujourd'hui c'est mon anniversaire et j'avais envie de partager ça avec mes lecteur(-trice)s. 

Merci d'être de + en + à voter et commenter. 

Très belle soirée à vous <3 

Em. 

20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now