Si imparfaite et si affreuse,

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Les lendemains furent compliqués. J'avais une certaine propension à me répéter cette phrase depuis quelques mois à chaque fois que je voyais la lueur du jour apparaitre au travers de ma fenêtre. Mais là, quand même, c'était compliqué. Sur une échelle de la complication, on venait d'atteindre le dernier niveau avec félicitations du jury. Je les entendais même m'applaudir à tout va, susurrant des messages d'encouragements particulièrement féroces, qui frôlaient le fanatisme. Cela donnait à peu de choses près un : «  Bravo Emma, tu foires tellement tout qu'on se demande si tu n'as pas un don pour la médiocrité. Tu devrais partager tes secrets de réussite en ce qui concerne brasser de la merde avec un air de conne ». Glorieux constat ! Et tandis que je m'affublais éloges sur éloges, la vie elle, par contre, continuait de faire défiler la bobine, sans le moindre ménagement pour ma personne.

Alors forcément quand j'arrivais à l'agence, l'humeur avoisinait celle d'un buffle en pleine chasse. Je n'en aurais laissé que la carcasse si j'avais pu. Tout du moins celle de Katherine.

J'avais envie de lui crier à la gueule qu'elle m'emmerdait profondément avec ses factures à la noix. Que si je pouvais, je torcherais le cul de tout le monde avec.  L'intégralité de ma vulgarité innée refaisait surface. J'avais envie de lui claquer la tête dans l'écran de son ordinateur, de la passer par la fenêtre, de lui rabattre son caquet en lui collant du scotch sur la bouche, de lui tirer ses cheveux de blondes peroxydées en lui déchirant ses vêtements de créateurs. Capitaliste de merde, pensais-je. Sombre vaniteuse qui court qu'après le fric et l'immoralité. La même qui passait toujours à côté de son métier de base. Elle aurait pu publier le dernier tome de OUI-OUI en verlan si ça lui avait rapporté des millions. JE LA DETESTAIS, je la détestais tellement.

J'aurais eu envie de boire du scotch à 8h du mat ou de fumer un spliff de la taille d'un rouleau à pâtisserie, en lui beuglant d'aller se faire foutre avec les compliments de la maison !

Mais, évidemment, éducation oblige, je déversais mon flot d'insanités mentalement. Consciente qu'on ne pouvait décemment pas traiter les gens de tous les noms car toute putain de vérité, n'était pas bonne à dire, paraissait-il.

Au lieu de ça, je me contentais de la fixer d'un air dédaigneux, lui souhaitant sans mal, de marcher sur un lego, se coincer le doigt dans la porte de son mini bar et de s'assommer pour une durée indéterminée avec l'intégralité de la Pléiade.

Et pendant que je fulminais contre Katherine, j'oubliais que la première personne qui m'exaspérait par-delà toute convenance n'était autre que moi-même. Mais c'était sans nul doute plus facile de détester cette abjecte personne qui me servait de patronne, plutôt que de soulever le vrai problème.

Je venais de tout foirer. Ma relation avec Louis avait été un échec, celle avec Milo ne relevait pas de la réussite non plus. Et comble du comble, la dernière personne qui avait réussi à m'approcher de trop près avait fini par prendre le large.

Triste mésaventure d'ailleurs.

Je pensais au fait que je ne reverrai plus jamais ses yeux bleus et j'eus instantanément envie de déverser un flot continu de larmes puériles.

Je venais de vivre une deuxième rupture en l'espace de quelques mois. La première avait été administrée avec classe par Louis. Et je n'avais pas eu le temps de processer tant mon départ pour Paris m'avait semblé être la meilleure des solutions. Et maintenant que j'y étais, Ben venait de prendre, lui aussi avec beaucoup de classe, la distance nécessaire avec mon spleen et ma carrosserie bosselée. Le début de cet interlude venait de s'achever et cela me faisait mal précisément parce que c'était beau.

20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now