S'attendre au tournant,

521 76 8
                                    

Curieuse et impatiente, je me dirigeais vers la petite table qui plus tôt avait accueilli ma solitude. Certaine de savoir qui trouver derrière la mansarde, je pris mon temps malgré tout pour traverser le bar bondé. J'avais envie de faire durer le plaisir de la retrouvaille mais je savais aussi que ce n'était plus l'heure de se faire désirer. Je l'avais trop fait. Et mes pieds ne pouvaient plus en endurer davantage.

Je contournais le pilier pour découvrir ce qui m'attendait derrière. J'avais déjà un petit rictus au bord des lèvres. La situation me faisait rire tant elle était orchestrée par un soupçon de romantisme qui n'avait pas lieu d'être.

Il se tenait assis, la tête penchée vers l'avant, toujours caché sous sa capuche noire. Ses doigts fins tapotaient la table dans un élan frénétique, certainement assujetti lui aussi par un stress palpable.

Quand il me vit enfin, il releva son menton et planta son regard dans le mien, sans sourciller une seconde. Il fit tomber le bout de tissu qui recouvrait ses cheveux et passa une main dedans pour les ébouriffer. Sa gêne était manifeste. Tout en lui trahissait l'appréhension de ce moment. Pourtant je ne doutais pas non plus du soulagement qui apaisait ses traits quand ses yeux croisèrent les miens.

Il fallait croire que nous nous connaissions tellement bien, que l'un et l'autre étions capables de déceler la partie immergée de nos comportements de façade.

Il se leva précipitamment pour tirer la chaise qui se trouvait devant moi. Ainsi, il m'accordait le droit de m'asseoir à sa table – ou à la mienne. Je fis grès de sa politesse légendaire. On sentait le poids de l'éducation parfaitement rodée qu'il avait tantôt reçue. Je pris place, déchaussant discrètement mes chaussures sous la table, prête à lâcher un cri de plaisir dont il n'aurait pas pu en comprendre le sens.

Il se laissa glisser en face de moi, dans un mouvement d'une élégance dont il avait le secret, croisant ses jambes pour mieux affronter ce qu'il s'apprêtait à faire ou à entendre. La chorégraphie était sensiblement bien maîtrisée. J'aurais presque pu penser qu'il avait répété la scène plusieurs fois. Pour autant, je connaissais suffisamment le personnage pour savoir que même lorsque tout semblait calculé, rien ne l'était vraiment.

Amusée par ce qui se déroulait sous mes yeux, je me pris moi aussi à croiser mes jambes, tout en ramenant mes mains sous mon menton, dans un élan princier qui faisait ressortir le fléau de mon arrogance d'antan.

- Alexander, ravie de te revoir. Fis-je.

J'avais lancé le ton et je savais que je n'allais pas être déçue.

- Plaisir partagé.

Sa voix ne trahissait pas une once de crainte. Il était rentré dans l'arène. Il se jouait de tout et de tout le monde, tout le temps. Et c'est pour cela que je l'aimais autant.

Nous nous sondions comme deux bêtes après un combat terrifiant, je percevais mes morsures dans sa chair tout comme il semblait constater les balafres qu'il avait laissées dans la mienne. Je comprenais qu'il était temps de cicatriser les plais béantes que nous avions infligé à nos égos surdimensionnés.

Pourtant, je me surprenais à avoir envie d'abuser du trouble qui persistait encore entre nous.

- Tu attendais quelqu'un ? Demandais-je.

- Toi. Répondit-il du tac au tac.

J'haussais les sourcils, feignant la surprise.

- Même derrière une mansarde, je t'aurais reconnu parmi milles autres. J'attendais simplement que tu reviennes. Glissa-t-il, le sourire narquois.

20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now