Milo - II

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Je m'écartais de Milo, les yeux baissés, à la recherche d'un paquet de cigarettes. J'aimais la clope plus de raisons, surtout quand il me fallait verser un psaume sur mon abjecte personne. Je saisie le paquet sur la table basse, coinça une cigarette entre mes lèvres et m'amusa avec le bruit du briquet jusqu'à ce que je me décide à l'allumer. Inspirant profondément la première taffe, je recracha instantanément la fumée en direction de Milo.

Me raconter ? J'eus besoin d'y réfléchir. Je sentais bien qu'il avait tous les droits de me demander cela, mais je fus incapable de choisir par quel bout commencer. C'était tellement confus, que j'avais parfois l'impression de vivre ma bipolarité sans que quiconque ne le sache. J'oscillais entre extase et déprime. Quoique depuis quelques semaines, je laissais plus facilement les épisodes mélancoliques prendre le dessus. Je repris mon souffle. Mes doigts agrippèrent la bouteille de vin que Milo venait de poser sur la table quelques heures plus tôt. Je me servis un verre et j'en fis autant pour lui.

-       J'sais pas, dis-je, la vérité c'est qu'un matin je me suis levée et tout s'était envolé. L'insouciance, la légèreté, l'enfance. Et à partir de ce moment-là, j'ai trouvé que tout était plus moche, que rien n'avait plus la même saveur, que le monde dans lequel j'étais en train d'évoluer ne me faisait pas envie. Oui c'est ça, Milo, je n'ai plus jamais eu envie.

-        hmm, m'a t-il marmonné

Je continuais, impassible.

- Ce n'est pas un mal-être, juste un malaise. Voilà, c'est inconfortable, incommodant. Je m'ennuie, du matin au soir, je m'ennuie. Je vois le scénario de ma vie défiler sous mes yeux et j'en baille par avance. J'ai juste peur d'être médiocre. J'ai l'impression que je dois courir après le temps, que si je ne rattrape pas le train en marche ce sera le point de non-retour. Et parfois j'angoisse, parce que j'ai l'impression que le train est déjà parti sans moi depuis des années, sans que j'ai pu y faire quelque chose, sans même que personne ne m'ait donné un jour les horaires de ce putain de train.

Je soupirais.

 - J'ai le spleen et c'est envahissant comme sentiment. C'est un anesthésiant dont tu te passerais bien, parce qu'au lieu d'apaiser la douleur et bien ça la ravive. Et je ne veux pas être comme ça. 

-       Etre comme quoi ? me demanda-t-il.

-      Comme ça là – je fis, en laissant retomber mes bras – comme une coquille vide, comme la spectatrice de ma propre vie... lui dis-je en trempant mes lèvres dans mon verre de vin.

Milo plissa les yeux, et me tendit son verre pour que j'y cogne le mien, dans une sorte de concertation silencieuse. Je savais bien que ce que je lui disais ce soir faisait écho en lui.

-    Je suis effrayée par le jugement des autres, Milo. Je m'applique depuis toujours à être dans une case et on dirait que je viens de me rendre compte qu'on ne mettra jamais des ronds dans des carrés. J'ai mis 25 ans à réaliser que je suis un putain de rond ! Je me regarde telle que je suis et je n'y vois rien de bien. Je suis déçue, de moi, des autres, de beaucoup de choses en réalité. On dirait que la lucidité a tout balayé sur son chemin. J'ai arrêté de rêver. C'est d'un chiant !  Terminais-je.

-      Et ça dit quoi là ? Me demanda t-il en pointant son doigt sur l'organe musculaire qui me sert de cœur.

D'abord surprise, je répondis doucement : 

- Que ça fait mal, que chaque battement me rappelle que la peine ne se meurt pas aussi vite qu'on le souhaiterait.

A son tour de me murmurer tout bas, une vérité que je connaissais depuis longtemps mais qu'il m'était difficile d'appréhender.

- Tu minimises toujours ce que tu ressens, si bien que tu as fait place à la colère. Pour toi, la tristesse c'est une entité que tu ne sais pas gérer.

Je me leva, m'approcha de Milo. Il me tendit son joint, je refusa. Au lieu de ça, je vins gentiment poser mes lèvres sur le sommet de son crâne et lui souffla à l'oreille :

-  Ça c'est parce que je ne suis pas très courageuse, mais tu le sais déjà.

J'avais décidé de mettre fin à cette conversation que je n'avais pas envie d'approfondir d'avantage. Je n'étais pas encore en mesure de comprendre et je me refusais à voir l'essentiel. Milo se réinstalla sur son tabouret en quête d'inspiration. Son joint toujours à la main, il se perdit dans ses pensées et je me perdis dans les miennes.


Note de l'auteur :

C'était un court chapitre. Semaine prochaine, vous en découvrirez plus sur Milo.

Et il y aura bientôt une rencontre. Mais je n'en dit pas plus :)

Bisous. Em.

20 ans et quelques | Terminée |Waar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu