La vie est un orage,

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S'adoucir. Mon mantra. Il s'avérait parfois compliqué de laisser ses nerfs au repos tant la vie parfois, prenait des tournures stupides qui nécessitaient de s'égosiller sans fin. Malgré tout, dans une sorte d'abnégation, je voulais croire qu'on pouvait vivre de telle façon que les choses finissaient par coulée à flot torrentiel sur nos corps sans avoir besoin de les combattre. J'appris vite à mes dépends que cette envie n'était réalisable que dans certaines circonstances et qu'encore une fois, la réalité rattrapait bien souvent l'univers fantasmé.

Momifiée derrière mon écran d'ordinateur, assise à la table de mon bureau, je sentais le monde s'afférer autour de moi. Vincent triait ses manuscrits éparpillés un peu partout, Lila se chamaillait au téléphone avec un libraire exigeant et moi, je mastiquais le capuchon de mon stylo, l'esprit perdu, les yeux dans le vide. Je profitais de ces quelques minutes de répits providentiel pour me laisser aller ne à rien faire.

J'aimais bien ça. Ne.Rien.Faire.

Je m'autorisais un laps de temps certain pour évacuer l'ensemble des pensées polluantes. Et je fixais un point, n'importe lequel. Jusqu'à ce qu'il ne puisse plus être identifié. Pendant ce temps-là, mon cerveau se mettait en veille. Je n'étais ni bien, ni mal. Je me reposais.

Il ne restait de moi, qu'un corps, seul témoin d'une présence physique. Le peu de mon génie avait pris la fuite dans les méandres sinueux de mon subconscient. J'étais loin. Si loin, que je percevais les éclats de voix comme des chuchotements.

Dans des instants comme celui-ci, je ne ressentais ni amertume, ni colère, ni même joie quelconque. J'atrophiais l'essentiel de mes sentiments au profit de rien du tout. Et ça m'allait bien.

Seulement, comme dans toutes trêves, celles-ci prennent fin lorsqu'un élément perturbateur vint briser les fines parois de l'âme. Les vibrations provocatrices du monde extérieur avaient rapatrié mon exil dans un monde tangible, où les froissements des uns et les invectives des autres me causèrent instantanément une gêne désagréable.

Lorsque mes yeux se posèrent sur l'objet de mon désagrément, ma béatitude d'antan pris fin illico. L'écran de mon téléphone s'affolait au rythme du vibrato. Ma table de bureau tremblait sous les effets d'un bruit sourd et particulièrement pénible. La quiétude venait de lamentablement s'échouer, rappeler à l'ordre par la communication moderne, qui voulait qu'on soit joignable coûte que coûte et ce peu importe qu'on le veuille ou non.

Quand je pris connaissance de l'émetteur de cet appel, je compris bien vite que j'allais me heurter à ce que je redoutais depuis quelques jours.

J'avais laissé à Milo, l'autre soir, une liste d'instruction. La première consistait à révéler son calembour de vive voix à une personne qui risquait fort bien de s'étouffer de déception et de chagrin. Je ne voulais pas porter le poids de cette confession. Et je me félicitais secrètement d'y avoir échappé.

Il fallait croire que c'était l'heure d'essuyer les plâtres.

On y était, me dis-je.

Je décrochais sagement le combiné. Laissant filer ma main libre sur le revêtement abrupte de mon bureau. Focalisée sur la chorégraphie de mes doigts qui tapotaient nerveusement le plateau, je bloquais ma respiration machinalement dans l'attente d'un retour sonore au bout de l'appareil.

La voix suave de Zoé vint remplir mes tympans. Je demeurais inerte, cherchant à déceler l'humeur qui se propageait à travers les réseaux téléphoniques. J'étais d'accord de prendre la pleine mesure du carnage présagé. Tant pis, si je souhaitais depuis quelques temps éviter les vagues et me rendre la plus transparente possible. Ce coup-ci, je ne pouvais lutter. Le sort s'acharnait malgré moi. Je ne pouvais prétendre à l'abandon. J'étais sur le quai de gare, patientant sagement de prendre le premier train qui me mènerait vers l'absolu. Mais pour l'instant, je devais faire face à quelques obstacles. Et celui-ci en était un de taille !

Je décelais l'infini désillusion qui frappait chaque phrase que balançait Zoé à l'autre bout du combiné. Le monologue d'infortune vint tailler mes oreilles à l'épée. Je comprenais la rage et le paroxysme de l'amour à sens unique. Je recevais chaque hoquet hystérique dans sa gorge comme une rafale en plein visage.

Nous n'avions que très rarement abordé le thème de la parentalité. Mais au fond de moi, je savais ce à quoi Zoé aspirait. Je ne pressentais pas dans quelle mesure les fantasmes qu'elle avait projetés sur Milo se révélaient destructeurs. Même si j'en saisissais silencieusement tous les aspects.

L'amour arbitraire. La rancœur inavouée. Et ce bébé...

Alors égoïstement, je notais chaque missive au coin de ma tête. Me donnant alors de quoi nourrir mes futurs écrits. Ce qui se passait autour de moi et à l'intérieur de moi venait semer les graines de ma créativité sur ce manuscrit inachevé. Et je l'en remerciais muettement.

Quand elle raccrocha brutalement, je compris que l'amitié que je portais à Milo et Zoé prévalait sur tout le reste. Et d'à quel point, j'avais besoin de leur présence dans ma vie pour mettre un pied devant l'autre proprement.

Alors je saisis mes affaires, restées en plan sous mon bureau depuis le matin-même et entreprit le sprint de ma vie. Je savais que si il y a avait une seule personne sur terre pour apaiser l'incendie ravageur qui était entrain de prendre de l'ampleur en plein milieu de Paris : ça aurait été moi.

Si il ne devait subsister qu'un nombre réduit de personnes dans mon existence, c'était eux. 


* " Le repos est un rêve, la vie est un orage" George Sand. 


Note de l'auteur : 

Petit chapitre, petite partie. À la base je souhaitais en écrire davantage. Et puis au final, je me suis dit que cela suffirait à vous faire patienter pour la suite. Je prévois de l'orage, une retrouvaille, des rires et des larmes. Et je VOUS veux sur le qui-vive :)... 

Douce soirée à vous, 

Em. 

20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now