De l'autre côté de la baie vitrée,

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La plaidoirie littéraire prit des jours et des nuits pour former ce que j'aurais pu appeler le début de l'histoire. J'eus été transporté par ce que je me permettais d'écrire au profit de toutes mes dissemblances. Rien ne semblait plus évident que l'entrelacement de tous ces mots que j'avais terriblement besoin d'exprimer. Plus grand-chose n'avait d'importance si ce n'était que d'arriver au bout de l'objectif que je m'étais fixée. Je voulais terminer ce que j'avais entrepris. Pas pour la gloire, seulement pour la fierté d'accomplir ce que mon cœur m'avait si longtemps ordonné de faire et que j'avais repoussé par dépit et par manque de courage certain.

Je laissais mes idées fleurir dans tous les endroits qui permettaient à ma créativité endormie de se raviver un tant soit peu. Il n'y avait pas de règles, pas d'obligations.

Pour la première fois depuis longtemps, j'osais espérer que ma vie prendrait une autre tournure. Je menais la danse. Celle de mes écrits. Et mes pudeurs s'envolèrent.

Je m'arrêtais souvent en fin de journée au Bon Jovi. J'installais Chantal sous mon siège et je continuais mes proses sans me mêler aux autres. Juan avait très bien compris le manège. Il faisait partie de ces gens qui n'avaient pas besoin de poser de questions inutiles. Il savait, c'est tout.

Alors il me réservait non pas la petite table du fond de la salle que j'avais l'habitude d'emprunter avec mes amis, mais celle cachée derrière la mansarde à l'autre extrémité de la pièce. Je ne l'avais jamais remarqué, d'ailleurs. C'était dire son potentiel de discrétion !

Il y eut un soir où j'étais restée plus longtemps que prévu. J'avais eu beaucoup de grain à moudre dans l'avancé de l'un de mes chapitres. Je ne savais plus quelle idée insufflée à mon récit. J'avais lu que c'était des choses qui arrivaient souvent aux auteurs en herbe. Venait un moment où l'on redécouvrait son œuvre avec un œil extérieur et tout à coup cela ne faisait plus sens. Alors j'avais décodé inlassablement les chapitres antérieurs pour comprendre où je pêchais. D'habitude profondément concentrée sur ma tâche, je ne prêtais guère attention à ce qui se tramait autour de moi.

Mais pas cette fois-là. Je reconnaissais bien volontiers un mélange entre le sommeil et la faim qui me faisait perdre de vue mon objectif. J'avais besoin d'une pause.

Je parcourais alors la pièce du regard, camouflée derrière mon comble brisé, je zieutais les uns et les autres avec un œil d'expert.

Je souris devant une tablée de bons copains, qui se chamaillaient pour des broutilles. Ce devait être comparable à ce que ressemblait autrefois les sorties avec Milo, Axelle et Zoé. Nous passions la totalité de la soirée à nous quereller pour tout et rien, dans une symbiose parfaite. Et je compris que cela me manquait.

Je fus intriguer par un petit couple dans la vingtaine qui rougissait à chacune de leur interaction comme si c'était un merveilleux don que de pouvoir se regarder dans le blanc des yeux en étant émoustiller pour si peu. J'aurais pu réprimer un fou-rire, mais non.

J'étais seule à une table, dans un bar blindé, à observer les autres. C'était de moi, dont il fallait rire.

Et puis, mes deux pupilles se posèrent plus loin. A l'opposé de là où j'étais. Devant la devanture, à l'extérieure, se tenait un jeune homme assis en face d'une petite blonde. Et je ne mis pas longtemps à reconnaître les traits fins de Milo et la candeur d'Inès.

Et j'eus mal au cœur.

Parce que c'était réel et que mon cerveau ne me jouait pas des tours. Il était bien là. Loin de moi.

Je le voyais frotter sa barde de sa main, tout en tapotant sa cuisse mouvementé par plusieurs spasmes de son autre main. Iris en face, semblait s'impatienter. Elle laissait tomber ses bras ballants contre la table et je devinais son soupir. Il prit une cigarette et vint la coincer entre ses lèvres, cherchant à la hâte ce que je comprenais être son briquet dans l'une de ses poches de pantalon. Décontenancée par son geste, elle prit le verre posé devant elle et le bu d'une traite, comme pour se donner le courage d'affronter quelque chose dont je n'avais vraisemblablement pas connaissance. Milo fumait à toute vitesse. Je me souvenais que c'était sa manière de faire quand il fuyait une discussion. L'espace de quelques minutes, cela l'autorisait à ne pas prendre la parole, trop occupé à inhaler la fumée. Je contemplais le visage animé d'Inès et la peine probante de ses yeux. Même au loin, tout cela me paraissait perceptible. J'en fus convaincue, quand elle balaya sur sa joue, une larme qui avait tenté de s'échapper.

Milo, toujours muré dans un mutisme que je ne lui reconnaissais pas, ne fit pas un geste pour apaiser le chagrin d'Inès.

Quand il écrasa sa cigarette dans le cendrier, il releva sa tête pour la fixer droit dans les yeux. Ses lèvres se mirent à bouger, son visage s'était assombri peu à peu. Et puis plus rien.

Il s'était passé quelques secondes de néant avant qu'Inès ne prenne ses affaires et disparaisse de mon champ de vision.

Comme une comète. La blondeur de ses cheveux et l'angélisme de son visage ne furent bientôt qu'un lointain souvenir.

J'en fus moi-même troublée.

J'analysais alors la réaction de Milo, abandonné à la solitude. Il ne se leva pas. Ne fit aucun mouvement qui aurait pu me laisser croire qu'il allait la rattraper. L'inaction était à son apogée.

Je voulais lui hurler à travers la baie vitrée de lui courir après. De tout faire pour qu'elle ne lui échappe pas.

Je me revoyais quelques mois plus tôt, assise seule à une table. Consternée et profondément anéantie par la sentence irrévocable que m'avait asséné Louis avant de se lever et de disparaître lui aussi dans la pénombre de la nuit. Moi non plus je n'avais pas bougé. Aurais-je du ?

Milo sortie quelques billets de sa poche, les déposa sur la table et s'enfuit, la capuche remontée sur la tête, à l'opposé du chemin qu'avait emprunté Inès.

Merde me dis-je. C'est d'une tristesse.

Et pour la première fois depuis longtemps, je ne sus comment agir. Est-ce que je me devais de lui courir après ? Étais-je toujours pour lui la personne dont il avait besoin quand le sol se dérobait sous ses pieds ? Ou Étais-je allée trop loin pour qu'il me fasse encore confiance ?

Les paroles de Marcel me revinrent à l'esprit. La fois où j'eus besoin d'une oreille attentive, j'avais trouvé chez Marcel ce je-ne-sais-quoi de paternaliste qui me faisait du bien. Je lui avais exposé mes failles proprement entre deux décorticages de truites fraîches. Il m'avait écouté silencieusement, opinant du chef quand je lui demandais ce qu'il en pensait. Il avait fini par m'envoyer un tir dont il avait le secret, ne mâchant pas ses mots pour dorer son vocabulaire.

« Tu veux savoir c'que j'en pense mon p'tit ? Quand on fout le bazar, après faut ranger ! » 



Note de l'auteur : 

Heureuse de faire réapparaître Milo dans le récit. Il m'avait manqué, à vous aussi ? 

En ce moment les publications se font qu'une seule fois par semaine, difficile d'en faire plus. Mais je suis toujours déterminée à aller jusqu'au bout de l'aventure et à vos côtés ce serait encore mieux :) 

Alors, qu'en pensez-vous ? Des idées pour la suite ? Est-ce que vous avez deviné ce qui va se tramer dans les prochains temps ? Je fais confiance à votre imagination pour avoir quelques pistes. 

See u :) 

Em.

20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now