Fugitive beauté,

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Il m'attendait assis sur un banc, en bas d'un grand escalier qui menait au parc de Belleville. Sur son visage, je pouvais y lire une certaine insolence légère, le regard rieur et le sourire prévenant. Je le voyais détailler les moindres de mes pas, ravissant ainsi l'intérêt qu'il semblait me porter.

Il se frottait la barbe du bout des doigts, enflammant ainsi mes pensées par un simple geste anodin. Je me disais tout bas, à mesure que je me rapprochais de lui, qu'il fallait que je contrôle mes sourdes songes, car il faisait vraiment naître en moi, une douce folie jusqu'alors éteinte.

Je ne contrôlais plus vraiment ce que je faisais, je décidais alors de me planter devant lui, lui laissant le choix de célébrer comme il le souhaitait ses retrouvailles.

Sans un mot, il se relevait, tout en passant son bras autour de mes hanches, d'une manière très autoritaire, presque déroutante. Il vint claquer sa joue contre la mienne, me laissant pantoise et désarmée.

J'avais toujours eu un sérieux problème avec les odeurs des gens, j'étais capable de sentir un effluve à des kilomètres à la ronde et la sienne était ce qui s'approchait sans doute le plus de la perfection pour mon sens olfactif en ébullition. Je me demandais si il avait fait exprès d'être à ce point aussi attirant, parce que tout chez lui paraissait d'un naturel spontané. Étais-je entrain de fantasmer quelque peu, laissant intentionnellement de côté les aspects qui ne me convenaient pas ?

Il pris ma main pour qu'on gravisse ensemble les quelques marches qui nous feraient atteindre le sommet du parc. J'étais déjà venue à Belleville, il y a longtemps, je savais que la vue y était époustouflante. Je le remerciais d'avoir eu l'idée de m'y emmener une seconde fois car mes souvenirs entre temps s'étaient considérablement étiolés.

Une fois en haut, je pris l'immensité de la ville en plein visage. Ma mémoire ne m'avait pas fait faux bond, s'en était magistrale. La tour Eiffel trônait en maitre au milieu du paysage. C'était ravissant.

Ben m'entraina un peu plus loin, sur une terrasse qui ressemblait à s'y méprendre à une guinguette de village. J'adorais l'atmosphère des lieux, je me sentais extirpée de la ville par une étonnante parenthèse provinciale.

Il prit place en face de moi et posa alors ses mains jointes sur la table, dans l'attente de mon verdict, les sourcils arqués par l'interrogation qui le rongeait.

J'eus envie de jouer un peu. J'aimais bien qui ait l'air de s'impatienter de mon jugement, comme si il était nécessaire à la poursuite de cette soirée.

- Quoi ? Demandais-je, les yeux plissés, feignant l'indifférence.

- Quoi, c'est tout ce que tu trouves à redire ? Me demanda t-il, soucieux mais en même temps pas assez naïf pour ne pas savoir que je le menais impunément en bateau.

- Oh, tu parles de la vue ? Subtil mélange entre un village du Lot et Garonne et une métropole. Belleville est un excellent choix. Tu devrais sérieusement envisager de faire guide touristique. Lui dis-je le plus sérieusement du monde.

- Estimes-toi privilégié et dis-moi merci, ça suffira ! s'exclama t-il, le rictus du plaisantin au bord des lèvres.

- Merci Ben, répliquais-je sur le ton de la condescendance exagérée.

Comme la fois précédente, il m'embarquait dans son univers à flot continu de paroles. Il était une source inépuisable d'anecdotes fines sur ses expériences, si bien que j'en riais souvent de bonne foi, véritablement captivée par son discours. C'était un excellent orateur, adepte du storytelling à outrance, capable de rendre n'importe quelle situation du quotidien aussi passionnante que funambulesque.

Le serveur vint une première fois prendre notre commande, mais trop absorbés par notre discussion, ni lui ni moi n'avions eu le temps de jeter un œil à la carte des suggestions. Quand celui-ci revint au bout de la seconde fois, j'avais jeté mon dévolu sur un traditionnel verre de bourgogne, Haute Côté de Nuit, plus précisément. Ce détail n'échappait pas à Ben, qui me regardait étrangement.

- Une littéraire qui boit du bourgogne, ça sonne comme un cliché extrêmement déconcertant, tu le sais ? Me fit-il, le ton plein de reproches amusantes.

- Pourquoi ? Demandais-je, absolument pas certaine de comprendre où il souhaitait en venir.

- Est-ce que tu lis les fleurs du mal, dans un bain mousseux, un verre de bourgogne à la main, les soirs d'hiver ? Ironisa t-il.

Sa pique me vexait presque.

- Je n'ai pas de baignoire ! Assénais-je, consciente de ma déplorable répartie.

- Je n'ai pas lu les fleurs du mal, si ça peut te rassurer. Me répondit-il, presque en s'excusant d'avoir pu me heurter un temps soit peu.

- Je suis loin d'être ce que tu crois... m'aventurais-je.

- Ça tombe bien Emma, j'ai toute la soirée pour savoir qui tu es, me dit-il sur un ton provoquant.

Venais-je de me faire coincer ? J'avais été nettement plus maligne la dernière fois, ne me prêtant guère au jeu qui consistait à étaler mes pensées. Il me mettait au pied du mur, je préférais considérablement quand il occupait l'espace avec ses histoires. Les miennes ne méritaient pas qu'on s'y attarde, surtout je n'avais pas spécialement envie d'en faire état, moi-même ne sachant pas par où commencer.

- Je... je ne sais pas si c'est nécessaire de brusquer mes sombres pensées, en fait... Balbutiais-je, peu en confiance.

- Elles sont si sombres que ça où tu leur donnes l'illusion qu'elles peuvent l'être ? Me contredisait-il, armé de patience et d'un regard intrigué.

Ce n'était pas une question, mais un simple jeu de rhétorique. Il était malin, je n'avais que peu d'espoir d'échapper à l'interrogatoire musclé que nous étions sur le point d'entreprendre.

- Commande moi un deuxième verre et des olives vertes, donne moi une cigarette, et allons-y ! Répliquais-je résignée, bien consciente qu'il fallait que je me découvre un peu. 


*  "Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté 

Dont le regard m'a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?" - Les fleurs du Mal, Baudelaire 


Note de l'auteur : 

Petit chapitre avant la suite qui est déjà écrite mais qui est en attente de relecture et ajustement.

Semaine bien folle de mon côté, je pense publier le reste fin de la semaine, si Dieu veut ! ;-) 

Bisous à tous les nouveaux lecteurs, qui lisent mais ne commentent pas (maaaais pourquoi ??? moi j'adddooooore lire les commentaires!!) 

Em


20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now