Le noir absolu,

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Plusieurs semaines s'étaient écoulées suite à mon embauche dans le milieu de l'édition. J'avais cru naïvement parvenir enfin à mettre un pied dans cette fascinante sphère au moyen de mes connaissances littéraires. Force était de constater que mon job s'apparentait plus à du secrétariat qu'à de la lecture endiablée de manuscrits. Il ne fallait d'ailleurs pas omettre de l'équation la furieuse et néanmoins consternante personnalité de Katherine, ma patronne. J'avais eu vent à mon arrivée de son autosuffisance exacerbée, mais personne n'avait pris le soin de me parler de sa démence. 

Je ne saurais dire si cette femme avait déjà eu à œuvrer dans son travail, tellement elle maitrisait l'art de la délégation dans sa forme la plus irrévérencieuse. Si bien, qu'il lui était pratiquement impossible de se débrouiller toute seule. J'avais la désagréable impression de manager une adolescente capricieuse à qui tout était dû et qui attendait juste que quelques zéros s'alignent sur ses contrats afin de programmer ces prochaines vacances aux Bahamas. Au diable les scrupules, Katherine ne fonctionnait pas à l'affecte, excepté avec son banquier.

Toujours est-il que jamais personne ne m'avait donné à ce point envie de dégommer le capuchon de mon stylo à bic à la seule force de ma mâchoire. Elle prenait la quasi totalité des gens pour des imbéciles et je ne cessais de me demander si il s'agissait là de narcissisme paroxystique ou d'un manque cruel de connexion entre ses deux neurones.

Un jour où elle réussit à particulièrement m'excéder voulant m'apprendre le raccourci clavier d'un copier coller, c'est dire à quel point elle sous estimait le potentiel de ses collaborateurs, je lâcha un juron à peine audible près de la machine à café. Vincent mon collègue s'arrêta lui aussi dans la petite pièce qui nous servait de cuisine, je l'entendis à son tour vociférer une insanité dans sa barde à l'égard de notre chère employeuse puis ce fut le tour de Lila de nous rejoindre le regard furieux. Depuis ce jour, nous décidâmes qu'un lien invisible mais perceptible nous liait. Nous fûmes contraints d'utiliser notre unité nouvellement créée afin de survivre le temps qu'il le faudrait dans cette agence. 

Ce fût alors, le début des plus gros fous rires de ma vie. Je partais du principe que si déjà j'étais coincée avec cette insensée tapée, autant rendre les choses amusantes. Quelqu'un, un jour m'avait dit que les gens étaient le meilleur spectacle vivant au monde et que tu n'avais même pas besoin de payer pour le ticket. Cette phrase prenait tout son sens, si bien que je me demandais si l'auteur de cette lexie ne connaissait pas personnellement Katherine.

Katherine, c'était un peu le noir absolu. Tous ceux qui la côtoient de près paraissent brillants - m'avait dit un soir Vincent. Elle a le don de gommer le beau autour d'elle, on l'a mettrait devant un tableau de Rembrandt qu'au bout d'une heure il ne resterait plus qu'une toile grise et des clous – pensais-je alors. Et c'était bien vrai.

Elle n'en avait que faire des manuscrits que nous recevions à l'agence. Elle se proclamait amoureuse des mots mais ne lisait pas une foutue ligne. Ce qui était particulièrement cocasse quand j'y pense, c'était la manière quasi mensongère qu'elle avait de se dépeindre; amoureuse des mots, gaucho mais sarkozyste, originale et bobo-bio. En toute objectivité, la seule chose se rapprochant d'un penchant pour la cause environnementale chez elle, c'était ses paquets de pruneaux bios sur le bureau. Pour le reste, elle ne voyait pas d'inconvénients à jeter son courrier dans la poubelle prévue pour les déchets.

Pour continuer à lutter contre une perte de contrôle de mes nerfs, je pouvais compter sur mes collègues qui traversaient la même mésaventure.

En quelques mois passés à Paris, je commençais à créer un cercle restreint de personnes plutôt sympathiques avec qui il était toujours agréable de partager un voire plusieurs verres.

20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now