Hier, je manquais d'air,

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J'aurais pu mentir et prétendre que je ne me faisais pas flipper, mais c'était loin d'être vrai. J'avais du mal à suivre cette ambivalence constante. Ce besoin d'affirmer tout et son contraire en l'espace de quelques minutes.

Je souffrais de ce mal qui touchait beaucoup de gens. Celui de ne pas se connaitre mais d'être malgré tout obligé d'apprendre. J'avais toujours cette impression de marcher sur la glace, et d'attendre que celle-ci se craquèle. C'était chancelante et à l'improviste, que je débarquais dans une vie d'adulte semé d'embuches.

Ce matin-là. C'était un dimanche. J'en avais eu marre. Marre d'être cynique. Marre d'être triste pour une raison qui me dépassait. Marre de me battre contre des gens qui n'avaient rien demandé. Marre de mettre des coups sur des problèmes invisibles. Marre d'espérer être ce que je n'étais pas. Marre de croire que je maîtrisais ma vie alors que j'en étais incapable. Marre d'en avoir tout le temps marre.

Alors je m'étais levée. J'avais pris mon café comme tous les autres matins de l'année, en fixant le ciel à travers ma fenêtre. J'avais relevé mes cheveux en un chignon négligé, chaussée ma paire de baskets, pris mon ordinateur sous le bras, et j'avais quitté mon antre comme on part à la chasse, me promettant de revenir le soir venu avec un soupçon d'espoir. Un minuscule simulacre d'espérance.

J'avais déambulé des heures dans la ville. Le menton relevé. Comme une aveugle qui recouvre la vue. Je voulais voir. Et je savais que cela me prendrait du temps. Je n'avais juste pas imaginé à quel point.

Je remontais le boulevard Raspail jusqu'à la rue de Grenelle. Ce que n'importe quel parisien aurait fait en métro, j'avais décidé de le faire avec mes deux jambes. Je cherchais l'inspiration. Je voulais que mon imagination se manifeste, parce que j'avais de grands projets pour elle.

J'aimais la rue de Grenelle, parce qu'elle était un guide touristique à elle toute seule. Si l'on s'y attardait un peu, on pouvait tomber sur les Invalides et le bordel ambiant au croisement de la rue Constantine et de la rue Faubert. On sortait tout à coup de la sérénité d'une petite ruelle pour atterrir sur le parvis du tombeau de Napoléon Ier , entre klaxon et effervescence. Et si la curiosité le permettait, il suffisait de contourner le petit café de l'esplanade pour côtoyer de près le Champs de Mars.

Je me demandais alors pourquoi je n'avais pas pris la peine de m'y rendre plus souvent.

Malgré la grisaille ambiante, nous étions toujours au printemps. Les arbres étaient verts, les magnolias en fleurs et quelques promeneurs accompagnaient ma marche vers l'imposante tour d'acier. Rien n'était plus beau à ce moment-là que ce que j'avais devant les yeux. J'aurais pu cligner mille fois des paupières pour être certaine de ne pas fabuler. Mais non – ce n'était pas le fruit de mes fantaisies.

Et tandis que j'avançais vers le Trocadéro, je me surpris à rire légèrement. Ce genre de gloussement joyeux, qu'on peine à retenir. C'était là, c'était devant moi. C'était aussi ça, ma vie. Exit, les tracas. Je vivais dans la plus belle ville du monde et je n'avais eu de cesse que de fermer les yeux.

Je pris la direction des quais, filant à vive allure le long des berges. Les bateaux mouches et les péniches avaient pris d'assaut le fleuve mythique. Des centaines de touristes se prenaient en photos devant les monuments qui s'alignaient autour de l'eau. Reflet étrange d'une société qui elle aussi n'y voyait plus grand-chose, exceptée au travers de leur appareil photo.

Je continuais mon pèlerinage en traversant le pont de l'Alma. Ce n'était de loin pas le plus beau de la ville, mais qu'importe. Il offrait une vie saisissante sur la rive droite.

Je cherchais un endroit pour y déposer mon spleen devenu trop lourd. Je ne m'y pas longtemps pour m'arrêter devant la devanture d'un petit café de quartier dont Zoé m'avait loué les mérites.

Il s'appelait le « café Guernica » en référence sûrement- si ma culture ne me faisait pas défaut - à la fameuse œuvre de Picasso. Œuvre qui soit dit en passant, aurait pu volontiers trouver une place dans mon salon.

Je savais de par mes sources, qu'une petite terrasse se trouvait à l'arrière du bâtiment. Je poussais donc la lourde porte pour m'engouffrer à l'intérieur. Le calme de ce typique salon de thé parisien aurait pu me faire déchanter. D'habitude si encline aux désordres ambiants. Mais ce jour-là, j'avais quelque chose à faire. Et il m'était primordial de m'exécuter à la tâche dans un environnement placide et empreint d'une quiétude sans faille.

Une petite dame d'une cinquantaine d'années vint me recevoir. Polie de par le métier qu'elle exerçait, je devinais sans mal que le sourire qu'elle arborait, détonnait plus d'une profonde obligation envers ses clients, qu'une véritable envie de partager une pincée de joie de vivre.

Je comprenais. J'étais pareille. Derrière les masques que l'on s'évertuait à porter le jour, se cachait souvent des grimaces qui s'éveillaient le soir.

Elle me fit traverser la pièce jusqu'à un petit jardin privatif. Je passais alors au travers de la baie vitrée, enchantée de découvrir un lieu qui ne ressemblait en rien à la ferveur des rues que je venais de parcourir.

Des glycines ornaient le plafond de la pergola, les murs de pierre conféraient à l'endroit une authenticité qui me plaisait. Perdue dans la contemplation des lieux, j'en oubliais la petite dame qui m'indiquait du bout des doigts une table déserte, parmi tant d'autres qui subissaient l'offensive des gens endimanchés.

Je pris place, commandant au préalable une boisson chaude, m'obligeant ainsi à recourir aux meilleurs conditions pour commencer à faire ce que j'aurais dû faire depuis longtemps.

Je déposais ainsi mon ordinateur sur la petite table en bois. Un peu bancal certes, mais suffisamment adaptée pour garder en équilibre l'engin qui allait me servir d'exutoire. J'ouvris alors une page blanche – qui je le savais allait être ensevelie sous une montagne de mots qu'il m'était nécessaire de formuler.

Et j'écrivis. Des heures durant. Mes songes, mes mensonges.

Je fis abstraction du monde qui m'entourait. Je ne vis défiler personne. Ni même les gens qui s'installaient à la table à côté de la mienne. Rien ne pouvait briser le processus dans lequel je venais de me lancer corps et âme. Les lignes s'entassaient les unes sous les autres à une vitesse insensée.

Je revoyais le visage de Louis et la déception dans ses yeux quand il avait compris que je me complaisais dans une situation sans issue et qu'il ne pouvait plus me sauver.

Je repensais au regard de Milo, la dernière fois que l'on s'était vu. Et de l'immense peine qui avait tiraillé ses traits quand il avait pris conscience de l'animosité qui m'habitait. Comme si lui non plus ne pouvait plus rien pour moi.

Et enfin, l'ombre de Ben planait sur mes mots. Lui qui m'avait offert bien plus qu'il n'y paraissait. J'avais plombé l'interlude parce qu'il avait analysé à mes dépends la totalité de mes failles.

Alors j'entremêlais ma peine et celles que j'avais causées à coup d'envolées lyriques. Et dans le même temps, je faisais revivre ce vieux rêve enfuit depuis longtemps.

Par le pouvoir des mots. De mes mots. Je mettais fin à la traversée du corridor obscur. 


* Ne me parle pas d'hier, parce qu'hier je manquais d'air - Giorgio 


Note de l'auteur : 

On y est. Emma recommence à mettre les choses en ordre. De façon un peu plus méthodique cette fois-ci. 

J'amorce tranquillement la fin de " 20 ans et quelques". 

J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce chapitre. Parce qu'il m'a redonné de l'espoir à moi aussi... =) J'espère qu'il vous a plu. J'attends toujours vos avis. 

Des bisous, 

Em.

20 ans et quelques | Terminée |Where stories live. Discover now