27 - Dernières confessions.

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27 – Dernières confessions.

ASYAT BROWN

Lundi 4 mai 2015

Toute l'indifférence qui enveloppait la jeune femme depuis plusieurs années s'était évaporée. Elle paraissait plus fragile et vulnérable que jamais. Après avoir tenté de l'agresser deux fois, le dénommé Sergio se tenait de nouveau face à elle, le même sourire carnassier sur les lèvres. Son physique avait changé du tout au tout mais son expression, elle, était restée la même. 

Par réflexe, elle jeta un bref regard circulaire à la pièce. Après avoir évalué la distance qui la séparait de son agresseur, elle se jeta dans les escaliers après lui avoir planté les doigts dans les yeux afin de le déséquilibrer l'espace de quelques secondes. On lui avait toujours appris à atteindre la vision en premier, ce qui créerait pour sûr une importante déstabilisation chez l'assaillant. Bien malgré lui, il l'avait l'espace de quelques instants lâchée tout en l'insultant de tous les noms possibles et imaginables. 

Le cerveau en surchauffe totale et les pulsations de son cœur retentissant à travers son corps, elle se précipita hors du séjour au rez-de-chaussée. La vue du corps ensanglanté du garde qu'elle avait salué quelques minutes plus tôt lui infligea un choc extrêmement violent. Une accumulation de stress et d'effroi avait formé une boule au fond de son ventre. Se retenant in extremis de vomir ses boyaux, elle poussa la porte d'entrée de toutes ses forces. Se doutant de la présence de plusieurs personnes derrière la grille, Sergio n'ayant sûrement pas agi seul s'il était celui qui la poursuivait et qui se trouvait derrière cette histoire de liste noire, Asyat se faufila à l'intérieur du jardin et atteignit la trappe, issue de secours qui la mènerait à la cave, prévue pour tous genres de confinements, située au sous-sol.

Alors qu'elle avait passé la moitié de son corps à l'intérieur de la trappe, elle sentit des pas la rattraper et deux mains la saisir par le cou. L'une était vide, l'autre était armée d'un calibre. Son cœur cessa de battre momentanément. Tout ça pour... ça.

Écoute-moi bien, petite pute. Fais-moi courir une mètre de plus et je fais sauter ta belle petite gueule. 

Pâle à en faire peur, elle ne bougea pas d'un poil, mortifiée. Aussi délirant que cela puisse paraître, ce n'était pas de l'arme mais de lui dont elle avait le plus peur. Il n'avait cessé de vouloir la réduire à néant depuis cinq ans. 

Elle plongea dans une léthargie totale, les pensées dirigées vers Rizvan Arzamastsev. Il était bien trop loin pour pouvoir lui être d'une quelconque aide et pourtant, malgré son exil un peu forcé en Russie, il avait été le seul a réellement tenter de la protéger des agressions extérieures. Son absence s'était par la suite ressentie avec l'incompétence de l'équipe qui lui portait une vague surveillance. Elle avait beau tenter de se rappeler ce qu'il lui avait conseillé dans un moment pareil, rien ne vint. Le stress empêchait à son cerveau, en totale surchauffe, de fonctionner.

Dans un état second, elle se sentit tirer au sol, le corps éraflé par les cailloux dissimulés sous les mottes de terre et les mauvaises herbes. 

Incapable de se ressaisir, elle ne put le désarmer. Son manque total de concentration la pousserait probablement à se rater et à définitivement mettre en danger sa vie. 

Sortant peu à peu de sa terreur, elle entendit quelques mots russes, échangés avec deux hommes qui attendaient à l'extérieur, qui l'étonnèrent et lui firent dresser l'oreille. Tentant de calmer les convulsions qui secouaient son corps alors qu'on la balançait littéralement entre les bras d'une armoire à glace, sur la banquette arrière d'une voiture blanche dont elle aperçut furtivement le logo, elle eut à peine le temps d'esquisser un mouvement qu'on avait bandé ses yeux et appliqué du gros scotch sur ses lèvres.

L'homme qui la tenait contre lui approcha le canon de son arme et l'appliqua sur son front. Les crises d'angoisse superficielles qu'elle avait réussi à maîtriser, se muèrent en une réelle angoisse sourde qui lui fit perdre tous ses moyens malgré le réalisme et le discernement dont elle faisait encore preuve jusqu'alors. Cherchant sa respiration comme un poisson resté trop longtemps hors de l'eau, elle finit par être sauvagement assommée par un des deux hommes.

* * *

RIZVAN ARZAMASTSEV

Il tambourina violemment contre la porte, le regard rivé sur sa montre. La nuit s'annonçait extrêmement longue. La porte avait à peine été entrouverte qu'il s'était précipité à l'intérieur, bousculant tout sur son passage.

Sans un mot, il tendit le dossier à Abel, la mâchoire contractée. 

_ Maintenant, arrête tes conneries. Pose ce que t'as pris.

_ Quoi ?

_ Je vais te buter, Esso. Vraiment.

Abel ne craignait pas le moins du monde les armes à feu puisque constamment en contact avec ce genre d'objets mais il était en nette infériorité en terme de combats rapprochés face à Rizvan Arzamastsev qui avait tiré énormément d'enseignements de ses années sous les ordres militaires, combats qu'il poursuivait quotidiennement en pratiquant des arts martiaux russes et israéliens.

_ J'y ai pas touché. J'ai pas eu le temps, t'étais déjà là, assura-t-il en levant les mains en l'air, signe de sa reddition.

_ Je t'ai dit d'arrêter tes conneries, putain. 

_ Je te jure que je l'ai pas ouvert. C'était que de la provocation, j'aurais de toute façon eu besoin de toi, lâcha-t-il à contre-cœur. 

_ Si je me déplace encore une fois... siffla-t-il entre ses dents, dégainant son arme en guise d'ultime mise en garde.

Dans une situation urgente de course contre la montre, il ne lui laissa pas l'occasion de répondre et regagna immédiatement son véhicule tout en prenant l'appel de trois collègues également sur l'affaire. Après s'être entretenu brièvement avec ses supérieurs hiérarchiques à qui avait été remontée l'information, il se rendit rapidement sur place où il resta une dizaine de minutes tout au plus.

Sur la route, il tenta de comprendre ce qui était en train de se produire. Il vit peu à peu son esprit hanté par une Asyat Brown ensanglantée, mourante sur le sol. Si elle subissait le moindre traumatisme de plus, il ne serait plus jamais capable d'observer son propre reflet à travers le miroir. Sa souffrance avait trop duré.

* * *

ARIANNA AMORETTI

Les derniers mots prononcés par sa mère un mois plus tôt raisonnaient en boucle à l'intérieur de son cerveau. En l'espace de quelques secondes, Arianna Amoretti avait pris plus de cinq ans, comme vieillie et harassée par toutes ces révélations brisant toute une vie de mensonge. Alessia Amoretti, bouffée par les remords les plus intenses, avait éprouvé le besoin d'accabler sa fille de lourdes révélations, la voix de temps à autres coupée par le manque crucial d'oxygène. Elle s'était entièrement livrée après trente ans de mensonges et de non-dits, incapable d'emporter les secrets qui l'étouffaient tant dans sa demeure éternelle. 

La jeune sicilienne de vingt-sept ans freina brutalement, les mains moites. Son arrêt à la fois impromptu mais également inattendu occasionna un concert de klaxons tout autour d'elle. La vision de moins en moins nette, elle reprit la route à contrecœur, le corps agité par des soubresauts. Elle voulait mettre un visage sur le nom de son père et rétablir la vérité auprès de toutes ces personnes qui avaient cruellement manqué à sa vie. 

Se garant sur le bas côté, elle saisit son portable et composa le numéro d'Herta Eisenmann. Alors qu'elle commençait à perdre espoir, une voix lui répondit.

_ Herta Eisenmann ? Je viens de la part d'Aleksandr Beterbiyev, nous savons tous les deux qui est derrière la liste. 

« Liste noire. »Where stories live. Discover now