1 - Damnée.

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« Liste noire. » par Sara Lowinski

PARTIE I – ASYAT BROWN

1 – Damnée.

Son regard butait avec insistance sur la porte d'entrée.

_ Vous m'emmerdez, Asyat. Vous ne coopérez pas.

La fenêtre grinçait sans arrêt, poussée par le vent qui s'élevait progressivement au dessus de leurs têtes.

_ Je suis là pour vous aider et vous n'arrêtez pas de vous murer dans votre silence. Si vous croyez que je n'ai pas décelé votre envie de vous en aller, vous vous trompez.

L'aider ? Comment diable une personne lui étant totalement inconnue pourrait-elle effacer vingt-quatre ans de son existence ? Quel putain d'optimisme écœurant, s'était-elle insurgée.

_ Même si vous ne tenez pas à vous ouvrir, faites-le au moins pour que l'on puisse sensibiliser les jeunes face à votre histoire.

Son air désemparé, qu'elle n'empruntait soi-disant qu'avec Asyat Brown, prenait de plus en plus de place sur sa face légèrement hâlée. Froissée et perdant manifestement patience, elle envoya valser la pile de dossiers siégeant sur l'angle de son bureau depuis des jours, attendant d'être traités.

Si son caractère fait d'elle quelqu'un d'instable et de peu patient, comment veut-elle que des âmes damnées comme la mienne se livrent, se questionna intérieurement la tchétchène aux traits fatigués qui lui faisait face, aussi silencieuse qu'une tombe.

_ Vous mettez ma carrière en péril, Asyat. Je ne sais pas quel plaisir vous prend à me faire tourner en rond depuis des semaines mais vous êtes certainement en manque d'attention.

Analyses trop hâtives, raisonnements et compte-rendus bâclés faisaient de cette femme quelqu'un d'inapte à assurer le métier de psychologue, en avait conclu Asyat. Elle se trompait résolument sur son compte et persistait inlassablement.

La jeune patiente se leva difficilement, littéralement lessivée, et regagna l'autre côté de la pièce en traînant des pieds, son corps décidément trop lourd à porter avec les années.

_ Au revoir, lâcha-t-elle simplement dans un ultime effort de politesse.

Sans cesse perdue au fond de ses nombreux souvenirs macabres et destructeurs, elle extirpa une petite boîte ovale nichée dans la poche extérieure de son sac à main bourré de choses toutes plus inutiles les unes que les autres. C'était un sac de bonne femme, en somme.

Elle en vida le contenu dans sa main tremblante. Deux ans au moins qu'elle se butait aux antidépresseurs, tentant vainement d'oublier sept ans de cauchemar omniprésent. Elle avait tant bien que mal diminué sa consommation, effaçant peu à peu sa dépendance face à ces petits cachets responsables de tous ses maux physiques.

Elle prit la route sans tarder. En moins de vingt minutes, elle avait failli provoquer un accident de la route. Elle était devenue cette véritable loque humaine qui s'éteignait peu à peu et qu'elle méprisait du plus profond de son être.

Trois quarts-d'heure plus tard, elle se garait en rase campagne, à l'intérieur de la seule maison qui se dressait à plusieurs kilomètres à la ronde. Elle était volontairement isolée du monde. Encore aujourd'hui, elle ne saurait délibérer sur la question : était-ce tant nécessaire à sa survie ? Combien de temps encore devrait-elle se terrer ?

Elle se faufila à l'intérieur de la résidence surveillée en saluant celui qui montait la garde devant le perron, avec qui elle avait tant bien que mal fini par sympathiser avec les années. Il lui dit que son collègue reviendrait sans plus tarder en leur ramenant de quoi se nourrir.

Asyat s'installa devant son miroir, les yeux cernés. Elle passa lentement la brosse dans ses cheveux et répéta son geste de longues minutes durant avant que sa main ne la lâche brutalement à la vue de sa silhouette, dépeinte sur le miroir.

Elle s'aperçut avec stupeur qu'il était là. Il l'attendait, le visage marqué par la haine.

Il avait fini par la retrouver après toutes ces années.

_ Asyat... Ma belle poupée.

À sa vue seule, tous les remparts qu'elle avait soigneusement érigés autour d'elle, toute la dureté qui l'incarnait s'étaient évaporés en une poignée de secondes.

Sa jambe se mit à trembler, incontrôlable. Elle n'eut pas le temps de calculer la distance entre elle et lui qu'il avait déjà fondu sur elle, l'immobilisant.

Elle avait beau avoir été protégée pendant des années sans se trouver une seule seconde seule...

... il n'avait suffit que d'une seule minute à celui qui se tenait face à elle pour la détruire.

« Liste noire. »Where stories live. Discover now