20 - Suspects imprévisibles.

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20 – Suspects imprévisibles.

OMNISCIENT

RUSSIE, OYMYAKON

La quatrième semaine du mois d'avril avait signé une remontée du mercure. La température ambiante frisait les -5°C dans ce qu'on appelait le village le plus froid au monde. Venus chercher un environnement hostile où surpasser leurs limites durant les deux derniers hivers, Sergio et quelques uns de ses compagnons prirent leurs quartiers au milieu de nulle part, dans un endroit peuplé de moins d'un millier de Russes.

Comme toujours, ses pensées se dirigeaient vers son oncle dont il connaissait désormais la meurtrière. Ses maux en avaient été encore plus grands le jour où il avait réalisé qu'il la connaissait depuis toujours. Le cœur bétonné par ces années passées à voir des atrocités et à en commettre, il n'était plus que rage et rancœur. On lui avait sciemment enlevé la personne qu'il admirait le plus, celle sans qui il se retrouvait sans aucun repère tel que l'aurait été un jeune orphelin.

Il parla peu avec les hommes qui étaient attablés à quelques centimètres de lui, bien trop occupés à mâcher avec délices les restes du festin qu'ils s'étaient permis un jour plus tôt pour fêter leur dernier jour ensemble.

Une brune apparût dans leur petit camp de fortune. Sans détour, elle tendit la main à Sergio avant de le conduire à l'intérieur de sa chambre encore surchauffée.

À l'instant où elle aurait souhaité toute son attention, il était loin, incroyablement loin, à des milliers de kilomètres du lieu où il se trouvait physiquement.

Son aventure touchait à sa fin. D'ici peu, il se retrouverait seul face aux fantômes qui le hantaient sans relâche, toujours plus insistants quant au fait de lui offrir la chance ultime de réaliser sa destinée.

Le temps était venu de faire des choix marquants de par leur grande cruauté. Ceux qui l'avaient entouré pendant toutes ces années avaient achevé de faire de lui leur création la plus terrible. À la fois ô combien influençable, faible d'esprit et dangereusement puissant, Sergio était devenu une véritable bombe à retardement qu'il n'était plus possible de désamorcer, quelque fût la méthode utilisée.

* * *

ASYAT BROWN

Lundi 27 avril 2015

À cinquante kilomètres à l'ouest des Champs-Élysées où Asyat Brown travaillait, se trouvait la résidence surveillée. Et malgré son appréhension, elle n'avait pu s'empêcher de se sentir soulagée d'un énorme fardeau une fois le portail passé. Elle avait proposé un deal à Abel qui avait pour mérite de tenter de satisfaire les deux parties. Elle acceptait d'être enfermée ici en échange de continuer à exercer son petit boulot.

Les premiers jours, tout se passa relativement bien. Mais plus le temps passait, plus elle était exténuée par son service et ses voyages à répétition. Une heure séparait son domicile de son lieu de travail et elle était forcée d'errer en plein cœur de la capitale pendant sa pause de quatre heures. Têtue, elle s'abstint d'en parler à qui que ce soit.

Les soirs où elle ne s'endormait pas d'épuisement, elle insultait mentalement Rizvan Arzamastsev et imaginait ce qu'il pouvait bien faire d'intéressant qui ait pour lui plus de valeur que sa vie, en Russie.

Trois jours après leur arrivée aux abords de Rambouillet, Abel, qui ne travaillait pas ce jour-là, l'emmena dans un endroit qu'il avait gardé secret jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive, devant le cabinet, qu'il avait pris rendez-vous à son insu chez une psychologue.

Elle ne faisait pas partie de ceux qui pensaient qu'aller chez un psy équivalait à être fou. Néanmoins, elle les avait en horreur. Le fait de se confier à une amie n'était pas acquis et, étrangement, celui de se confier à un inconnu l'était encore moins. 

Elle s'enferma dans son silence avant même de pénétrer à l'intérieur de la pièce et elle l'observa attentivement.

La pièce était assez moderne, conçue dans le but de mettre les occupants à l'aise dès leur arrivée, un diffuseur parfumé évaporant sa fumée trônant sur la table rectangulaire. De petits gâteaux étaient à disposition pour parfaire le tableau idyllique.

_ Bonjour. Je suis Annabelle Seinfeld, votre nouvelle psychologue. Quel est votre prénom ?

Elle  glissa sa main dans sa poche et en extirpa sa carte d'identité française, son nom complet bien mis en évidence.

_ Bonjour.

_ Je lis donc que vous avez 22 ans et que vous nous venez de Paris même. Comment s'appellent vos parents ?

Elle n'éprouvait pas le besoin de la contredire systématiquement avec des phrases assassines mais elle n'avait pas non plus demandé à lui parler. Ne sachant que répondre, elle se tut. Le temps lui parut affreusement long.

_ Se confier ne paraît pas toujours facile mais tout ce qui sera dit ici ne sortira pas de cette porte, je vous le promets. Je patienterai le temps qu'il faudra pour pouvoir creuser avec vous dans votre passé. Vous n'êtes pas sous la contrainte, tout ici est prévu afin de vous faire vous sentir mieux.

Asyat Brown se demandait ce qui avait bien pu pousser cette femme à devenir psychologue. Avait-elle traversé ce genre d'épreuves dont on n'oublie jamais plus le jour ? Avait-elle voulu l'éviter à d'autres personnes par pure solidarité ? Ou à l'inverse, essayait-elle de combler le manque de contrôle sur sa propre vie personnelle en cherchant à contrôler les problèmes de celle des autres ?

_ Je ne peux pas encore pointer le ou les problèmes du doigt mais j'espère que vous serez plus encline à la discussion, la prochaine fois. Ne vous sentez pas honteuse de vos prises de paroles, je suis une oreille attentive et à l'écoute.

_ Il n'y aura pas de prochaine fois, Madame Seinfeld.

La quadragénaire se contenta de lui sourire, un sourire qu'elle perçut comme condescendant. Elle lui tendit sa carte vitale sans plus attendre puis elle se leva avant de tourner les talons, sans chercher à savoir si elle en avait encore pour longtemps. Abel ne dit trop rien, conscient d'être allé à l'encontre de ce qu'elle souhaitait réellement.

C'est ainsi que commencèrent ses longues séances monotones chez le psychologue.

* * *

RIZVAN ARZAMASTSEV

_ Ты хочешь пить кофе?

Rizvan lui répondit par la négative, préoccupé par Fuad Brown. Il y avait déjà quatre mois et vingt-sept jours qu'il était entré en contact avec sa fille et les investigations en étaient toujours au point mort. Sans consulter Igor, il rédigea rapidement un message à l'attention d'Abel. Il utilisait probablement sa dernière carte.

« Demande à Brown de te ramener un document écrit par son père et fais-le analyser dans un laboratoire avec la liste noire. Compare les résultats et tiens-moi au courant. »

S'il y avait bien quelque chose pour Rizvan Arzamastsev à tirer des enseignements dans les services de renseignement français, c'était sans aucun doute que la menace provenait parfois de ceux dont on s'attendait le moins.

« Liste noire. »Hikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin