15 - Ancienne rancœur.

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15 – Ancienne rancœur.

RUSSIE, NOVOSSIBIRSK

Il était 05:50, heure locale à Novossibirsk, lorsque l'avion en provenance de Saint-Pétersbourg se posa sur la piste. La plupart des passagers étaient plongés dans une léthargie partielle, secoués par le manque de sommeil. Il fallait ajouter à cela le décalage horaire de quatre heures entre la deuxième ville la plus peuplée de Russie et Novossibirsk.

En ce jour de mois d'avril, le climat promettait d'être un peu moins hivernal, oscillant entre cinq et dix degrés alors que le soleil atteindrait son zénith. La pluie, quant-à-elle, était diluvienne avant même que l'aube ne poinde, peignant l'horizon de ses subtiles teintes rosées.

Après avoir affronté un énième parcours du combattant, Rizvan Arzamastsev put poser les pieds hors de l'aéroport. Il vint à la rencontre d'un taxi et lui indiqua l'adresse où il souhaitait être déposé avant de s'engouffrer dans le véhicule, trempé.

Au fur et à mesure que le paysage défilait devant ses yeux fatigués, il réalisa à quel point la ville lui paraissait différente. Rizvan avait passé trois ans de sa vie dans la ville la plus peuplée de Sibérie avant d'aller tenter sa chance à Moscou, à tout juste dix-huit ans, après la mort de sa mère. Il y avait habité quatre ans de suite sans réellement s'y trouver chez lui. Finalement, il s'était envolé pour Paris durant l'été 2010 et l'aventure était déjà sur le point de s'arrêter. Il en conclut mentalement qu'il lui était impossible d'habiter au même endroit, une fois passé le seuil fatidique des quatre ans. Il paya généreusement le chauffeur après l'avoir remercié. 

Le bâtiment qui se dressait face à lui n'avait pas pris une ride, identique à son souvenir.

Même s'il se présentait à l'improviste, il savait pertinemment que ce ne pourrait qu'être une bonne surprise pour Tatiana et ses quatre enfants.

Il emboîta le pas d'une femme qui pénétrait à l'intérieur de l'édifice, évitant ainsi de rester planté pendant des heures face au boîtier digital dont il ne possédait pas le code. De mémoire, il monta les marches jusqu'au quatrième étage qui équivalait au troisième étage français. Une foulée de souvenirs l'assaillirent alors qu'il se tenait au pas de la porte qui lui semblait si familière. L'inscription Смирнова était apposée à quelques centimètres de la poignée, indiquant le nom de famille des habitants de cet appartement.

Il s'apprêtait à toquer lorsque la porte s'ouvrit sur une jeune femme.

* * *

Les yeux de Tatiana pétillaient à la vue du jeune homme, témoignant plus que ne le feraient de simples mots de l'admiration qu'elle lui portait. Ils s'étaient quittés déchirés après la mort de sa mère avec qui elle avait grandi à Saint-Pétersbourg, à l'époque baptisée Leningrad par les révolutionnaires anti-tsaristes. Amies d'enfance, elles ne s'étaient jamais perdues de vue malgré la distance qui séparait Novossibirsk et Grozny où chacune s'était établie dans le but d'y élever sa famille respective.

Après l'attentat de 2003 qui avait coûté la vie de sa fille, Elnaz avait délibérément pris la fuite avec son fils dans le but de se réfugier chez Tatiana Smirnova, confiant Raisa à sa fille aînée déjà mariée. Il comprit plus tard qu'elle cherchait également à se protéger elle-même, attelée à l'écriture de son livre dénonçant les crimes commis entre Russes et Tchétchènes en la mémoire de la moitié de sa famille disparue dans la guerre opposant les deux peuples. Trois ans plus tard, elle mourait de ses blessures, froidement supprimée.

Ils passèrent toute la journée à discuter, se remémorant les plus beaux moments qu'ils avaient vécus avant la tragédie qui était survenue le 31 janvier 2006. Rizvan n'avait pas encore dix-huit ans et il était déjà orphelin, ses parents tous deux morts dans des conditions abominables de par leur déchaînement de violence.

« Liste noire. »Where stories live. Discover now