2 - Pris pour cible.

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2 – Pris pour cible.

ASYAT BROWN

Quelques mois plus tôt... Mercredi 19 novembre 2014

Elle se faisait plus ou moins toujours la même remarque à l'approche de son anniversaire : cette année serait-t-elle pire que l'année précédente ?

Aujourd'hui, elle fêtait son vingt-deuxième printemps sans grand enthousiasme. Le constat était toujours le même, pour ne pas changer, après des années de semblant de travail sur elle-même : toujours aussi naïve et potentiellement proie facile de n'importe quel taré.

Victime d'une amnésie partielle à l'âge de dix-huit ans, elle avait par la force des choses fini par se rappeler d'événements qui avaient principalement conduit son cerveau à une perte de mémoire évidente.

L'emprise de Sergio, cet homme dont chaque trait la répugnait, et ce qu'il avait fait afin de tenter de l'isoler du monde entier, les deux tentatives d'agression avortées, la boule au ventre qui la compressait à chaque fois qu'elle devinait sa silhouette au loin... absolument tout lui était progressivement revenu en mémoire, lui remémorant brutalement la terrible réalité. Il lui rendait visite dans le moindre de ses cauchemars les plus avides de violence. Elle avait enfin pu placer un nom sur sa torture psychologique incessante.

Quatre ans plus tard, bourrée de séquelles psychologiques, elle s'échinait toujours à éviter le moindre contact humain. Il l'avait détruite les premiers mois puis elle s'était acharnée à devenir insensible, érigeant une protection inébranlable autour d'elle.

La seule personne qui avait réussi à l'approcher était un bout de femme qui ne se prenait pas la tête, loin de tous les a priori que pouvaient produire certains êtres humains au comportement médiocre et au jugement systématiquement cruel envers absolument tout et n'importe quoi.

Herta, à qui on aimait particulièrement rappeler l'homonymie de son nom avec la pâte alimentaire Herta vendue en grandes surfaces, et qui se plaisait à répondre à la gente masculine que ce n'était pas avec son prénom mais son corps qu'on baisait, était tout droit arrivée de la petite ville allemande de Francfort-sur-l'Oder, à deux pas de la frontière polonaise, à l'âge de dix-sept ans.

Herta Eisenmann ne parlait pas un mot de français lorsqu'elle avait rencontré Asyat Brown qui faisait bénéficier de cours de français les immigrés fraîchement arrivés. Il y avait de tous âges et de toutes origines. C'était avant qu'elle ne se ferme définitivement au social, choisissant par ailleurs de cesser de dispenser le moindre cours.

Elles étaient pourtant restées solidement liées, l'une empêchant l'autre de battre en retraite. Elle aurait pu aller baiser le quartier entier, Herta restait une personne pleine de bonté, de courage et d'intelligence.

Le regard des gens avait cessé d'importer Asyat en sa compagnie. On considérait qu'elle appartenait à sa trempe et bien pire, qu'elle aurait vendu mère et père pour une poignée de billets violets. Issue de deux cultures complètement différentes, elle passait outre les jugements et les provocations incessantes. Ses parents avaient bien trop souffert des qu'en dira-t-on.

Les factures, quant-à-elles, pour ne rien arranger, continuaient à s'empiler inéluctablement sur le bureau de sa mère. Elles étaient toujours réglées au nom de Nourset Aslanova épouse Brown, son père bien trop occupé à entretenir ses cousins irlandais. Il lui avait fallu attendre vingt ans avant de lire clair dans son jeu. L'époque où il était passionnément épris de sa mère semblait résolue depuis des lustres.

_ Arrête de baver.

_ Où t'as vu que je bavais ?

Herta se tenait devant le miroir, se contorsionnant dans tous les sens pour apprécier la vue de sa tenue luxueuse.

« Liste noire. »Where stories live. Discover now