21 - Aleksandr S. Beterbiyev.

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21 – Aleksandr S. Beterbiyev.

HERTA EISENMANN

Vendredi 1 mai 2015

Une désagréable ambiance s'était abattue sur la résidence depuis quelques jours. Abel était sans cesse préoccupé lorsqu'il n'était pas à l'autre bout de la région et les rondes se faisaient de plus en plus régulières. Les appels de Rizvan avaient soudainement cessé sans qu'elle en devine la raison et un nombre incalculable de messes basses s'échangeait tous les jours entre les gardes, ce qu'elle détestait tout particulièrement. 

Asyat était de plus en plus absente et les seules fois où elle était là, elle s'enfermait entre quatre murs, silencieuse comme une tombe. Herta, quant à elle, feignait ne rien faire et cela avait l'air de bien marcher. En réalité, elle avait passé toutes ses journées à tenter de contacter Aleksandr Beterbiyev mais il possédait bien trop de doublons et elle craignait de se tromper de personne. Elle harcelait littéralement d'appels Fuad Brown mais rien n'en était ressorti. Elle était incapable de comprendre les énormes changements qui s'étaient produits en lui en si peu de temps.

Elle allait raccrocher d'elle-même lorsqu'un signal fut émis à l'autre bout du fil.

« _ Je ne répondrai plus tant qu'elle ne sera pas avec moi.

_ Fuad ?

Elle allait immédiatement donner son identité mais sa voix l'en empêcha tant la surprise était grande. Personne n'avait pu le joindre depuis près de six mois.

_ C'est Herta, se précipita-t-elle d'articuler, de peur qu'il ne raccroche sans aucune autre forme de procès.

_ Herta, il me faut ma fille. Vite.

_ Mais où ? Comment ?

_ Dis-lui de faire bon usage des billets qu'elle a reçus, les dates sont flexibles seulement jusqu'au 31 décembre.

_ Qu'est-ce qui se passe avec toi ? Pourquoi tu disparais comme ça ? Asyat est dans une sale affaire.

_ Raison de plus pour elle de quitter ce pays.

_ Non, Fuad. C'est pas comme ça que ça se passe. Elle aimerait elle aussi que tu sois plus clair avec elle après l'avoir laissée tomber comme tu l'as fait à la mort de Nourset. »

Sa gorge se serra instinctivement et, un peu comme elle s'y attendait, il avait raccroché. Après tout, elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir et n'avait rien à se reprocher.

Elle avait à peine rangé son téléphone au fond de sa poche que Carl, une des personnes chargée de l'affaire, fit irruption dans la pièce.

_ Donne moi ton téléphone ! Il ne fallait pas le presser comme ça !

_ Parce que toi t'as une autre idée ? T'es marrant. Arrêtez d'écouter toutes nos moindres communications, ça en devient énervant.

_ C'est pour votre bien.

_ Arrête les mensonges, on est qu'une histoire de statistiques de réussite. Je doute fort que tu continues à t'intéresser à nous si demain tu perds ton travail. Tiens si ça peut te faire plaisir.

Elle déposa le téléphone sur la commode.

_ Et tape avant d'entrer, j'aurais pu être à poil.

* * *

RIZVAN ARZAMASTSEV

Un pli soucieux barrait le front du jeune homme de vingt-sept ans. Il n'aurait pas assez de toute une vie afin de chercher un russe au milieu de plus de 17 millions de kilomètres carrés de terres russes, ce qui faisait de la Russie le plus vaste pays au monde même après la dissolution de l'Union des républiques socialistes soviétiques au matin du 26 décembre 1991. Et comme si la tâche n'était pas assez compliquée, il avait fallu que le dénommé Aleksandr Salmanovitch Beterbiyev soit en perpétuel mouvement entre la France et la Fédération de Russie.

Au fil d'une conversation avec Igor Smirnov, il avait appris que Tatiana Smirnova, sa mère elle-même amie depuis toujours avec Elnaz Arzamastseva, avait été une amie de longue date d'une certaine Antonella Beterbiyev. Si son fils était effectivement l'homme recherché et qu'il apparaissait sur la liste noire où chaque victime avait un lien plus ou moins direct avec Asyat Brown, cela impliquait que des liens dont il ignorait la nature pouvaient probablement exister entre Asyat Brown et lui-même, aussi infimes soient-ils, et qu'il était grand temps pour lui de percer à jour ce mystère mortel.

* * *

ALEKSANDR SALMANOVITCH BETERBIYEV

Le premier mai avait cédé sa place au deuxième puis au troisième jour de mai, ne cessant de rappeler à quel point heures et minutes se bousculaient à une vitesse fulgurante.

Le jeune homme de vingt-trois ans avait remis les pieds sur le sol français après avoir tenté de faire le deuil de sa mère. Il avait pour ainsi dire obéi à toutes ses volontés. Toutes sauf une qui l'avait entre autres conduit en France, là où il avait passé plusieurs années de sa vie.

Le corps courbaturé, il errait sans cesse dans les couloirs, envahi par un profond malheur. Il en connaissait définitivement trop. Néanmoins, contacter la source du problème le protégerait-il d'une possible mort ? Il avait beau être assez bien bâti et pourvu d'une force psychologique non négligeable, plus les jours passaient, plus la peur le saisissait lentement entre ses serres meurtrières.

Mais en ce 3 mai, il avait décrété que rien ne pourrait l'arrêter, fort de sa toute nouvelle assurance. Il trouverait Asyat avant qu'il ne soit trop tard, quels que soient les moyens employés.

Les paroles de sa défunte mère tournaient en boucle au fond de son cerveau. Afin d'être le plus crédible possible, il s'arma de dizaines de documents en tous genres, qu'ils soient audios, visuels ou simplement manuscrits. Il était plus que temps de révéler à la famille Brown-Aslanova ce qu'ils risquaient.

Lorsqu'il se dirigea, de mémoire, chez les Aslanova, on lui répondit que l'appartement avait été rendu la veille. De nouveaux arrivants étaient supposés occuper les lieux sous peu. Désemparé, il se résigna à composer son numéro de téléphone tout en sachant que sa tentative serait vaine.

En l'absence de réponse, Aleksandr Beterbiyev tenta de joindre Fuad Brown. Une voix préenregistrée vint interrompre les tonalités démesurément longues, l'invitant à laisser un message sur la ligne du contact injoignable. Il se contenta de raccrocher d'un geste rageur avant de regagner son appartement.

Alors que la nuit était tombée et qu'il se terrait au fond de l'appartement familial, il reçut un message d'un numéro qui lui était totalement inconnu. Ce dernier affichait trois mots porteurs de la plus violente des menaces.

Tu vas mourir.

Aleksandr avait tant de bonnes raisons pour prendre au sérieux ce message, qui pour d'autres aurait pu passer pour un simple canular, qu'il s'empressa de faire ce qu'il aurait dû faire depuis le décès de sa mère.

Fébrile, il composa le numéro de Rizvan Arzamastsev que lui avait transmis sa mère malgré l'heure tardive. La panique le gagna lorsqu'il devina, après plus d'une dizaine d'appels, qu'il ne tomberait sur nul autre qu'une boîte vocale signifiant l'absence de toute réponse. Il laissa un message vocal en déclinant son identité, précisant qu'il était le fils d'Antonella.

Dès l'ouverture des magasins de proximité, il se précipita à l'extérieur afin de faire des réserves qui lui permettraient de se cacher le plus longtemps possible dans un lieu d'apparence assez sûr.

Il poussa un soupir de soulagement en découvrant un appel provenant de Rizvan Arzamastsev dans son journal d'appels. Les bras pleins de victuailles, il attendit de regagner son appartement avant d'appeler son interlocuteur. Malheureusement il n'en revint jamais, assommé, enlevé et dépouillé de toutes les preuves qu'il possédait.

« Liste noire. »Donde viven las historias. Descúbrelo ahora