29 - Arianna Amoretti.

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29 - Arianna Amoretti.

ASYAT BROWN

Violemment jetée contre le sol d'une pièce désaffectée aussi glaciale qu'une chambre froide, elle tenta de se réceptionner comme elle put, les mains solidement scotchées l'une contre l'autre à l'arrière de son dos. D'après ses souvenirs, légèrement brouillés par son état de choc total, elle avait été changée de pièce à trois reprises, toujours aussi maltraitée.

Elle tourna lentement la tête, le cerveau fonctionnant à plein régime. La fatigue et la douleur avaient petit à petit commencé à altérer ses facultés cognitives. Les conditions plus que déplorables de détention avaient également joué un rôle important dans la dégradation de son état de santé général. Elle plissa les yeux, se surprenant à réciter de silencieuses liturgies du bout des lèvres. Un soupir haché lui échappa de la bouche, ultime manifestation de son désespoir croissant.

* * *

RIZVAN ARZAMASTSEV

Son cerveau tentait d'enregistrer à la fois les événements, le chemin à prendre ainsi que les récentes informations partagées par la femme dont l'accent italien transparaissait de temps à autres si on l'écoutait attentivement. L'étau était en train de se resserrer contre le ou plutôt les coupables, il le pressentait. Néanmoins, il gardait malheureusement à l'esprit qu'une seconde suffisait pour briser la vie de Brown et de Beterbiyev. 

Herta finit par briser le court silence qui s'était instauré entre eux alors qu'il épiait nerveusement l'heure qui tournait, l'échéance adressée par le maître chanteur se rapprochant de plus en plus. 

60 000 euros devaient être déposés dans la journée et le tableau de bord affichait 01:20 passées. Il leur restait techniquement vingt-deux heures et quarante minutes pour agir. Il était clair qu'il n'était pas en possession de la somme demandée et qu'il ne l'aurait jamais donnée même s'il l'avait eue en sa possession. 

Il pouvait cependant en déduire que les instigateurs de toute cette sombre histoire étaient définitivement issus de pays non européens ou plutôt pauvres, ce qui ramenait à la même conclusion : il avait affaire à des hommes de l'est et probablement même de la Fédération de Russie s'il se basait sur les origines d'Asyat Brown et d'Aleksandr Salmanovitch Beterbiyev.

Il glissa un regard dans le rétroviseur. Son regard rencontra celui de l'Italienne. Son visage était fermé, son air grave. À sa simple vue, il pouvait affirmer que c'était une femme avec un gros caractère – ce qui n'était absolument pas important pour l'heure.

Pour la deuxième fois en quelques minutes, il lui trouva un air beaucoup trop familier pour être ignoré qu'il n'arrivait pas à s'expliquer. Maintenant qu'il savait plus ou moins qu'elle était également liée à l'affaire, il y avait fort à parier qu'elle fasse partie de l'entourage d'Asyat.

_ Asyat Brown, ça vous dit quelque chose ? demanda-t-il à brûle-pourpoint. Dites ce que vous savez.

Le ton autoritaire qu'il avait utilisé paraissait déplaire à la dénommée Arianna mais cela constituait la dernière de ses priorités. Il fallait être efficace, clair et surtout concis. 

_ Comment pourrais-je avoir la garantie que vous n'utiliserez aucune information à mauvais escient ?

_ Si vous commencez à raisonner de la sorte, vous ne direz jamais rien et les deux personnes actuellement détenues dont votre Aleksandr Beterbiyev trouveront la mort. Soyez intelligente.

_ Quelle que soit la situation, je vous prierai d'arrêter d'utiliser ce ton condescendant à mon encontre.

_ Putain mais est-ce que vous vous rendez compte des gamineries auxquelles vous vous livrez ? Ma pote est sous menace de mort alors arrêtez vos conneries, grogna Herta.

Rizvan, injustement houspillé, préféra se taire, conscient de la gravité de la situation qui l'avait personnellement touché malgré toute l'attention qu'il avait employée à garder ses distances avec Asyat Brown.  

_ Ma mère s'appelait Alessia Amoretti avant de se marier avec Alessandro Bellini. J'ai connu son nom complet en tant que tel il y a à peine un mois et demi, quelques jours avant la mort de ma mère. Tout a commencé en 1989 alors que je n'avais pas encore 2 ans. 

* * *

JUILLET 1989

ALESSANDRO BELLINI

À l'aube de ses trente ans, Alessandro Bellini entrait dans son septième mois de règne discret, asseyant son pouvoir sur un des nombreux districts siciliens après une alliance entre les Amoretti et les Bellini, deux familles assez puissantes implantées dans la région depuis des décennies entières. 

Le mariage entre Alessandro Bellini et Alessia Amoretti avait été de très bon augure pour les Amoretti dont la popularité et la puissance faiblissaient de jour en jour tandis que les Bellini étaient proches du sommet, ayant réussi à échapper au gigantesque coup de filet du maxiprocesso di Palermo et côtoyant de temps à autres le redoutable clan des Corleonesi dirigé par Salvatore Riina. D'un commun accord et après plusieurs pots de vin, l'union la plus attendue de l'année avait eu lieu un 28 décembre, trois ans et demi plus tôt. 

Deux ans et trois jours plus tard était née Arianna Bellini, le premier enfant du jeune sicilien. Membre important de la cosa nostra malgré lui, il avait continué de susciter la convoitise et sa fille avait dès les premiers instants sollicité une sécurité sans failles. Malheureux dans sa relation, il s'était jeté corps et âme dans le crime, obligé de tuer pour ne pas devoir éteindre le flambeau de la vie à son tour. Il avait été largué au milieu d'une marée de piranhas et chacune de ses heures passées à Palerme relevait de la survie. 

La famille d'Alessandro avait fait de lui un véritable criminel, mari absent et père quasi inexistant. Pourtant, la fille qu'il avait eue avec sa femme qui s'apparentait plus à une véritable inconnue illuminait ses journées, lorsqu'il n'avait pas les mains tachées par le sang. 

Ce soir-là, Alessandro s'assit, pour une fois seul depuis longtemps. Il était devenu complètement paranoïaque, constamment sur ses gardes dans la peur de se faire abattre. Sa popularité au beau fixe, il avait attisé les convoitises de nombreux prétendants et ne savait plus distinguer le vrai du faux. Tout était prétexte pour se méfier de n'importe qui et ses nuits se réduisaient parfois à trois quarts d'heure de somnolence par intermittence. Même lorsqu'il avait la possibilité de fermer l'œil, son cerveau le rendait littéralement fou et il finissait par devenir violent, les nerfs à fleur de peau. 

Il extirpa un cigare de sa poche et l'alluma tout l'observant se consumer et partir en fumée. Après tout, il n'y avait pas de grande différence entre sa destinée et celle d'un cigare allumé. Il suffisait d'une étincelle, d'une flamme avant que tout finisse par s'embraser en une fraction de seconde.

Il se saisit de sa deuxième arme de poing lorsqu'il entendit toquer à la porte. La première placée dans son holster de cuisse, il se dirigea vers l'entrée. En quelques secondes, le cousin de sa femme était entré avec quelques uns de ses proches, tout aussi armés qu'Alessandro Bellini.

_ Alessandro, tua moglie e tua figlia sono morte. Devi andartene da qui.

« Liste noire. »Where stories live. Discover now