10 - Nourset Aslanova.

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10 – Nourset Aslanova.

RIZVAN ARZAMASTSEV

Il se replongea dans les pistes qui lui restaient à exploiter avec le peu de moyens dont il disposait. Il était si focalisé sur son activité qu'il ne vit pas le temps passer et après six heures, il reçut enfin l'appel qu'il attendait. Abel avait fait état de plusieurs blessures sur le corps d'Eisenmann sans pouvoir lui poser de questions. Quant à sa mâchoire, qui leur avait causé plusieurs frayeurs, elle n'était pas cassée. Rizvan Arzamastsev avait bel et bien anticipé l'agression sans pouvoir en prévoir la date. 

Tout était relié à Asyat Brown, tout était calculé pour les décimer un par un jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'elle afin de la plonger dans une peur maladive. Néanmoins, ils n'étaient pas en possession de son numéro qu'il avait eu la présence d'esprit de faire détruire. Sans cela, l'affaire aurait tourné au harcèlement psychologique, ils l'auraient assassinée mentalement.

En jetant un regard au canapé, il se rappela qu'elle était enfermée dehors depuis plus d'une demi-heure. A priori rien qui ne puisse tuer un être humain. Harassé, il se dirigea vers la porte d'entrée.

* * *

Mercredi 18 février 2015

Posté au milieu du bureau, il faisait les cent pas, essayant de remettre de l'ordre dans ses idées. Il ne pouvait pas se permettre de perdre son calme, pas maintenant, pas avec ce poste. Son supérieur entra en vitesse dans la pièce et prit à peine le temps de le saluer. Il paraîtrait qu'il était occupé.

_ J'ai une requête à faire.

_ Si vous voulez parler de l'affaire dont vous êtes chargé, c'est non. Nous avons déjà tranché.

_ Sans moi ? 

_ C'est exact. Nous en avons déjà parlé. Nous ne pouvons pas nous permettre de dépenser tant d'argent pour quelqu'un qui ne nous apportera rien, disons nous les choses en face.

_ La vie de six de nos civils est en jeu. On en a déjà perdu un.

_ Tout ça relève de votre travail, vous n'avez pas su anticiper. 

_ Ce qui m'a tout l'air d'être difficile avec les moyens dont je dispose.

_ Vous devriez déjà vous estimer heureux de pouvoir accéder à la base de données Cristina en tant qu'ex-militaire qui n'a même pas la nationalité française.

_ Si pour vous ce n'est pas assez que ceux qui cherchent à les tuer soient suspects ou issus d'une mouvance radicale, je ne sais pas ce qu'il vous faut. Je préfère m'arrêter ici.

Il n'avait pas besoin de l'entendre dire pour savoir que si on avait accepté de le faire entrer ici, c'était uniquement pour son ancienne appartenance aux forces de l'ordres et ses facilités à traduire le tchétchène, langue rare officielle en Tchétchénie qu'ils considéraient comme étant un des fiefs du terrorisme. Il était également au courant du fait qu'ils avaient peur pour leurs dossiers confidentiels et qu'il était victime de contre espionnage pour savoir s'il était infiltré pour le compte de la Russie. Et il avait choisi de se taire.

* * *

 ASYAT BROWN

Samedi 21 février 2015

_ Il a essayé d'arranger les choses mais ils ne changeront pas d'avis. Tu reviens trop cher et ils ne comprennent pas l'utilité d'un tel dispositif pour quelques personnes. Plus de résidence surveillée pour toi, ils estiment que c'est pas justifié.

Elle en conclut qu'on n'était jamais mieux servi que par soi-même, à peine surprise de l'issue que prenait cette histoire. Tout paraissait bien trop irréel pour être effectif dans le temps.

_ On veut pas non plus t'empêcher de vivre et te proposer de vivre chez un de nous surtout que je pense pas que ça sera acceptable pour toi et compatible avec notre rythme de vie et notre poste à risque.

Elle remonta progressivement la fermeture de sa valise tout en luttant contre la montagne de vêtements entassés à l'intérieur.

_ Tu veux que je t'aide ?

Elle refusa. 

Abel, quoi qu'il arrive, était une bonne personne. Elle avait appris de lui qu'il avait sauvé son amie de toujours d'une mort certaine. Tous ces événements avaient rajouté à sa culpabilité profonde.

Malgré elle, Asyat Brown avait avec le temps commencé à attendre beaucoup trop de choses de Rizvan Arzamastsev. Elle s'était mise à lui en vouloir pour tout et n'importe quoi. Rompre tout lien qui aurait pu exister avec lui empêcherait d'avoir à réparer des pots cassés. Leurs échanges instables et souvent explosifs se seraient ajoutés à son angoisse permanente.

Quelques heures plus tard, elle était de nouveau à la même place qu'il y a un mois. Cette fois, les motifs et les enjeux étaient différents. Elle savait qu'en quittant cette résidence, elle pouvait savourer à nouveau la liberté. Mais nul doute qu'elle aurait un prix très salé en allant des soucis financiers à la mort qu'on lui prédisait sans relâche depuis deux mois.

Elle ne pipa mot durant tout le trajet, plus que consciente du danger en quittant ces deux agents qui étaient à peu près les seuls à pouvoir remonter la trace de n'importe qui, du moins une personne lambda qui ne connaissait rien aux changements d'identité.

Le silence qui s'était instauré entre elle et Rizvan Arzamastsev fut brisé alors que les environs de l'endroit où elle résidait commençaient à se dessiner à l'horizon.

_ T'as l'obligation de m'envoyer trois messages par jour. Un à dix heures, un à dix-sept heures et un à vingt-trois heures, heure à laquelle tu devrais être dans ton lit. Si tu ne le fais pas, attends-toi à avoir ma visite. Tu m'auras fait perdre mon temps, je serai énervé. 

_ Ne t'attends pas à me commander, tu n'as aucune emprise à avoir sur moi.

_ Tu es celle qui le prend comme une emprise. Tu joues avec ta mort et ma carrière dans les services de renseignement français. T'es priée de ne pas penser qu'à toi comme je pense moi tous les jours à éviter qu'on te fasse mal aussi bien physiquement que psychologiquement.

Sans argument valable lui permettant de poursuivre le débat, elle se mura dans un profond silence en attendant de voir son immeuble se profiler devant eux. Elle déclina plus méchamment que ce qu'elle voulait l'aide d'Abel qui proposait de porter ses bagages.

Elle traîna sa valise du coffre jusque la chaussée puis monta les marches sans se retourner, spectatrice de ce qui arrivait, paralysée par la peur de l'inconnu et du danger.

Quelques minutes plus tard, elle apprenait la mort à l'âge de 48 ans de celle qui lui avait gracieusement donné la vie.

* * *

Elle avait beau chercher, Asyat Brown n'avait jamais versé autant de larmes en deux-cent soixante-sept mois d'existence. Les soixante heures ayant suivi le décès avaient été les plus horribles. Elle avait dû courir à droite à gauche, sollicitée par des dizaines d'organismes. Une fois la nuit tombée, la réalité lui était revenue de plein fouet et les larmes avaient coulé, inévitables.

Sa mère avait été retrouvée, le corps sans vie, en plein milieu de la route, à deux pas de l'immeuble. Tout semblait indiquer que l'accident était volontaire.

Elle devenait progressivement folle, convaincue que sa mort lui incombait, convaincue qu'elle aurait eu la vie sauve si elle n'avait pas été plongée dans toutes ces affaires regrettables.

Asyat Brown demeurait dans l'incompréhension la plus totale, la pensant encore en sécurité. L'instant d'après, elle en voulait à la mort à tous les agents de France, ne sachant précisément qui avait pris la décision de virer Nourset Aslanova de sa résidence surveillée. 

Le portable qu'ils lui avaient fourni avait sonné plusieurs fois dans la journée puis dans la nuit. Elle l'avait délibérément nié, au fond du trou. Même après ça, elle n'avait reçu aucune nouvelle de son père qu'elle avait harcelé sans relâche avec sa ligne de téléphone fixe.

Son âme meurtrie se tenait seule face au destin effrayant, chargé de promesses funestes.

« Liste noire. »Where stories live. Discover now