Chapitre 28-3 : Ciel de feu

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Comprenant qu'elle souhaitait discuter de la fameuse lettre de mon père, je levai mes mains. Je n'avais vraiment pas l'envie ou le courage d'en parler, je savais pertinemment que je ne tiendrais pas le coup.

  – Je te raconterai plus tard, la coupai-je en lui montrant ma mine très, très fatiguée. 

Je savais que si je lui montrais maintenant, je craquerais. Je préférais lui montrer quand je serai en meilleure posture. Elle comprit et me fit un sourire compatissant. Je n'avais vraiment pas le courage d'en parler, après tous ces événements. Je m'étais couchée assez tard la veille. Mais à mon plus grand bonheur, les cours ne commençaient qu'à neuf heures. Mais le combat, le stress de la discussion avec Zéphyr et ma « crise » m'avaient épuisé. Je me dirigeai donc vers ma chambre en traînant les pieds.

Je jetai un coup d'œil vite fait à mes cours du lendemain. Je commençais avec Étude des Mutants. Bon, ça aurait pu être self-défense. Je tentai de positiver comme je pouvais. De plus, j'avais le sentiment que je n'arriverais pas à dormir cette nuit.

Je rangeai mes affaires dans mon coffre par automatisme. Puis je fis rapidement ma toilette, pris une douche et mis mon pyjama. L'eau chaude sur mon corps m'avait quelque peu apaisé, mais mon esprit était toujours tourmenté. Tout ça me dépassait, encore et encore. Je me rendis compte que j'étais en train de broyer du noir, comme à mon habitude. Le fait d'être le soir, la fatigue et la lassitude provoquaient toujours ce genre de pensées chez moi. 

Je me remettais en question, ma vie aussi. Je n'avais plus envie de me battre à cet instant là. J'aurais aimé être chez moi, pouvoir aller voir ma mère et me blottir dans ses bras. Elle savait toujours comment me rassurer, elle trouvait les mots. Je me demandais ce qu'elle faisait, à cet instant précis. 

Était-elle en train d'observer les étoiles, comme moi à travers la fenêtre ? Une couche de nuages assez épaisse obstruait le ciel, je pouvais pourtant distinguer quelques points lumineux. Mes épaules s'affaissèrent, je tentais de repousser toutes ces pensées noires. Enfin prête, je me couchai dans mon lit si moelleux. Je fermai les yeux, mais malgré ma lourde fatigue, le sommeil me fuyait.

Au bout d'une longue heure de changements de position, je finis par abandonner. Pourquoi est-ce que quand j'en avais le plus besoin le repos me narguait en restant au loin ? Je décidai de faire quelque chose, rester à ruminer n'arrangerait rien, j'en avais bien conscience. Je fouillai alors dans mon coffre et retrouvai la lettre de mon père. Une façon de me sentir proche de lui. Je la relus, l'imaginant en train d'écrire ces mots.

Était-il au courant pour mon enlèvement ? Je ne savais même pas combien de temps il avait gardé le contact avec les Lumen Master. Je savais qu'il n'avait pas le droit de communiquer avec ma mère, mais le faisait-il quand même par quelque moyen ? Cela m'aurait franchement étonné qu'il n'ait pas dérogé à la règle. Ces questions tourbillonnaient sans cesse dans ma tête, alors je rangeai la lettre, larme au bord des yeux et éteignis toutes les lumières une nouvelle fois.

Ma lampe de chevet était en forme de boule, branchée à une prise par un petit fil lumineux. Elle aurait pu paraître normale si elle n'avait pas en plus un socle pour recharger les appareils électriques. On n'avait beau ne pas avoir de réseau, beaucoup utilisaient quand même un ordinateur pour taper leurs cours. Ou même les portables, comme moi pour écouter de la musique. En tout cas, je n'avais pas emmené d'ordinateur.

De toute façon, je préférais le papier, c'était plus concret. Je tentai autre chose. Je pris mon téléphone et mis quelques musiques. Le sommeil, qui jusque là ne faisait que me provoquer, décida de m'ouvrir ses bras. Je fermai donc les yeux, m'enfouis sous ma couette et m'endormis.


Je cours. Encore, je cours. Le garçon me tient par la main et nous courons. L'air est chargé, empli de cendres, des coupures me font mal sur les bras et les jambes. Ça tamponne dans ma tête. J'entends le monstre rugir derrière. Ce... ce moment me dit quelque chose. Je n'ai pas le temps d'y penser. Puis il me dit de continuer de courir, qu'il va ralentir ce monstre. J'ai déjà entendu ça. Oui, je le sais. Je supplie le garçon de rester avec moi. Mais il s'en va ralentir le monstre et je fais ce qu'il m'a dit. Non, ne le laisse pas ! me dit une voix. Je me retourne alors et crie son prénom :

– ADAM !

Il ne se retourne pas. Je suis alors projetée en dehors de moi-même, comme si je sortais de l'eau. Je me vois. Je me vois petite, telle que j'étais. Sauf que je suis adulte à côté. Je vois la désolation et le carnage produit par ce Mutant. Le ciel est noir, teinté de rouge, il fait nuit. Un ciel de feu. Mais je ne peux rien faire. Mes actions n'ont aucune conséquence. Impuissante, je me vois m'époumoner en appelant ce garçon. J'aperçois alors le Mutant tenter en vain d'atteindre le jeune garçon. Il est vaillant, se débat avec courage et férocité. Il est même très doué.

Puis mon moi petite se précipite dans le sens inverse. Je tente en vain de la retenir, mais mes mains passent à travers. Je suis alors la petite fille – moi – se ruer vers lui. Mais que peut-elle faire face à un Mutant de cette taille ? Je m'inquiète pour cette petite fille, qui semble de moins en moins être moi. Elle me paraît douce, enfantine. Innocente, comme une petite fille. 

Normal, c'est ce qu'elle est. Mais plus que ça. Moi, je suis facilement irritée, je cherche toujours la vengeance quand on me fait du mal, à moi ou mes amis. Cette petite fille semble d'une bonté immense. Est-ce vraiment moi ? Je la vois courir avec ses petits pieds nus dans la poussière et la terre. Je la vois s'écorcher, je vois les larmes couler sur ses joues. Mais elle continue, elle ne dit rien de sa souffrance. Elle n'abandonne pas, malgré la souffrance dans son regard et sur son visage.

Je cours aussi à présent. J'aimerais pouvoir la prendre sur mes épaules pour la sortir de cet enfer. Mais je suis totalement impuissante. L'innocence que je vois dans ses yeux pleins d'espoir m'attriste. Elle va y laisser la vie. En est-elle consciente ? Comment pourrait-elle s'en sortir ? Enfin elle arrive là où le Mutant cherche à tuer son compagnon. La petite fille, toujours moi, mais sans l'être, le recherche des yeux.

Et là elle marche sur quelque chose qui la fait trébucher. Je vois ce quelque chose, et j'ai soudain la nausée. Ce sur quoi elle vient de trébucher, c'est une main. Une main de cadavre d'enfant. Un jeune garçon aux mèches rousses. Il a le visage figé, les yeux écarquillés, apeuré. Je me détourne de cette vision en même temps que mon moi petite. Mais quelque chose a changé dans son regard alors qu'elle regarde autour d'elle. Son visage se transforme en douleur, peur, puis peine. Je comprends qu'elle est en train de perdre ce que ma mère appelle « l'innocence de l'enfance ». Cette toute petite fille à peine âgée de six ans vient de passer du monde des bisounours au monde adulte, cruel. Comme ça, en un instant. 

Un instant qui va la marquer jusqu'à la fin de sa vie. Je vois la petite brune se mordre les lèvres et continuer. Elle semble réprimander une forte nausée, comme moi. Je continue de suivre son tracé, cherchant comme elle le garçon aux cheveux blonds. Plus mon moi petite se rapproche du pied du Mutant, plus j'ai l'impression de toucher au but.

Enfin elle retrouve le petit, qui est là à... triturer les boutons d'une tablette ? Pas d'une tablette comme un iPad, mais une tablette transparente, comme celle des cours. Je le vois alors se frotter la tête et appuyer sur un bouton. Puis d'un seul coup, le sol s'entrouvre sous les pieds du Mutant. Le trou doit bien faire vingt voire trente mètres de profondeur.

Il permet de bloquer le Mutant jusqu'en haut du torse. Enfin, si on peut appeler ça un torse. Il ressemble comme deux gouttes d'eau aux kaijus du film Pacific Rim, avec trois queues en plus. La petite fille s'élance alors avec soulagement vers le garçon en criant « Adam ! ». Lui se retourne brusquement et son visage devient effrayé.

Une des queues du Mutant est encore libre et vient balayer mon moi petite. Enfin, Adam lui crie avant de se coucher à terre, ce qu'elle fait. Mais la queue vient frapper Adam. Moi, je suis passée à travers. Je me vois alors hurler de toutes mes forces un « NON ! » retentissant. Ce que je vois ensuite me surprend au plus haut point. Je vois la fillette courir à une vitesse folle vers Adam, qui a été projeté au loin.

Mais elle évite tous les obstacles avec une agilité que je ne possédais pas à cette époque. Elle évite même la queue du Mutant en anticipant ses mouvements. Comment ? Parce que je viens de la voir activer le fluide. Cette petite, qui manifestement est moi, vient d'activer le fluide à l'âge de six ans. 

Mutante - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant