Chapitre 27-1 : Nuna

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Zéphyr écoutait attentivement ce que lui expliquait Miller. Celui-ci lui demanda la même chose que moi : ses intentions. Je m'étais assise sur le tronc d'arbre, encore choquée après ce que m'avait déclaré Zéphyr. Tout s'embrouillait dans mon esprit. 

Ma mère m'avait affirmé que c'étaient les Ombres qui avaient réalisées ces expériences. Alors pourquoi, d'après Zéphyr, c'était les Lumières les responsables ? Selon son dossier, il était noté toutes les étapes des expériences. 

J'avais eu l'espoir d'avoir des informations sur mon expérience, mais il était trop jeune pour avoir des souvenirs précis, et n'avait pas eu assez de temps. Si les Ombres étaient vraiment à l'origine du projet, il n'y aurait pas eu de dossier là-dessus entre les mains d'Esteban Arrano. 

Quand enfin Miller eut finit avec Zéphyr, je racontais moi-même ce qu'il m'avait communiqué sur ces dossiers. Le plus troublant qui avait fait tilté Zéphyr, c'était la marque que je possédais sur ma nuque. Ce triskel particulier, possédant un symbole en son centre. 

Quand nous avions combattu, il l'avait déjà vu. Cela lui avait donné la confirmation qu'il attendait. Je ne pouvais décemment pas porter de cols roulés en permanence, alors il était facilement visible.

– Est-ce que... je peux voir ta nuque ? me demanda le rouquin avec une délicatesse qui me surpris.

Je jetai un coup d'œil à Miller, qui haussa les épaules. A moi de prendre la décision. En soupirant, je relevai mes cheveux en un rapide chignon, puis retirai ma veste. Je me retournai, lui laissant le loisir d'admirer mon tatouage. 

Rien n'avait changé à ce niveau depuis des années. Zéphyr me demanda s'il pouvait le toucher. Après une réflexion de plusieurs secondes, je me rendis compte que ce n'était pas la mort. J'acceptais, et je sentis sa main froide effleurer ma nuque. 

Ce contact me gêna, automatiquement mon instinct voulait mettre à terre le rouquin. Je n'avais pas l'habitude d'être examinée ainsi, comme chez le médecin. Sauf que là l'examinateur avait trente ans de moins et était largement plus canon. 

Il me proposa de me retourner pour me montrer quelque chose. Il sortit alors un dessin de sa poche et me l'exposa. Il représentait un triskel complètement identique au mien. Le papier était froissé, les traits clairs à cause du temps. Je ne suis quoi dire, tellement j'étais estomaquée.

– Quand j'ai trouvé le dossier, j'ai noté le plus de choses possibles dessus. Et j'avais remarqué une photo d'une nuque – d'un très jeune enfant, elle était toute petite – avec cette marque. Je me souviens qu'il disait que c'était le moyen de reconnaître les enfants. Au départ, il y en avait beaucoup, plusieurs centaines. Du moins, c'était l'impression que j'avais en lisant le dossier. Il était crypté, et je n'avais réussi qu' à en déchiffrer une très petite partie. En tout cas, je sais que les sujets étaient très nombreux, et chaque « type d'expérience » avait sa propre marque. Visiblement, tu faisais partie du groupe avec un triskel. C'est grâce à cela que je t'ai vraiment reconnue.

Je l'écoutai attentivement. Pourquoi me révéler tout cela ? Même si je risquais de ne plus rien savoir, je lui demandai. Zéphyr jeta un coup d'œil à Miller, l'air de ne pas savoir s'il pouvait tout dite en sa présence.

– Tu peux lui faire confiance. Nous faire confiance, lui assurai-je.

Zéphyr se passa la main dans ses cheveux et commença à s'expliquer. Je remarquai au passage qu'il avait le même tic que Miller. Mais le rouquin avait beaucoup de mal, ne trouvant pas les mots.

– Je... comment dire... c'est... argh, je ne sais pas comment formuler ça. J'étais très imprudent avant, et je cherchais à connaître les secrets de mon père. Je voulais en savoir plus que Solal, qui depuis tout petit me narguait parce qu'il était au Centre d'entraînement, parce qu'il était entré à l'académie etc. Moi et ma petite sœur, ça nous a toujours énervé. J'avais une petite sœur, avant. Elle s'appelait Nuna. Elle a toujours eu de très graves problèmes de santé. Elle avait de nombreuses crises d'épilepsies, était facilement fatiguée, ne mangeait pas beaucoup, ne dormait pas beaucoup. Enfin bref, elle était très fragile. Nuna partait très souvent avec mon père dans un centre de soins spécial. C'est... ce que disais mon père. Elle était magnifique, avec sa crinière rousse flamboyante et ses yeux bleus...

Zéphyr se perdit dans la contemplation de ce souvenir. Miller et moi attendions, ne voulant pas le bousculer. Nous avions tous les deux compris qu'elle était morte. Cela me fendit le cœur. 

Étais-ce pour cela que Zéphyr était si renfermé ? A cause de la mort de sa petite sœur ? Il avait vraiment l'air de beaucoup tenir à elle. Il essuya furtivement une larme qui coulait de son œil et continua, la voix plus basse, sûrement à cause de sa gorge nouée.

– Bref, elle était très souvent là-bas. Et, curieux et imprudent comme j'étais, je ne cessais de demander à mes parents où est-ce qu'elle allait. Même quand je lui posai la question, Nuna ne répondait rien. Si ce n'est qu'un jour, j'entendis mes parents discuter et parler de ce centre de soins. Manifestement, ma mère n'était pas d'accord pour que Nuna y aille. Et c'est la première fois que j'entendis le mot « Ewa ». Puis un jour... à la télé, on annonça l'explosion d'une île. Que des recherches scientifiques y étaient pratiquées. Depuis ce jour, je n'ai jamais revu Nuna. Quand je posai la question, mon père me répondait qu'elle était morte de sa maladie. A partir de ce moment, Solal était pire avec moi et les autres. Mes parents ne s'occupant jamais de lui, trop effondrés par la mort de ma sœur, il réclama encore plus l'attention de tout le monde. Moi, je...

Je remarquais à quel point il était dur pour Zéphyr de parler de lui et de ses sentiments. Je me rendis compte que les gens aimaient se confier à moi. Avais-je une tête de psychologue ? Probablement. Je laissai mes remarques personnelles sur le côté, écoutant attentivement les paroles du rouquin.

– Bref, j'avais toujours des doutes quant à la mort de Nuna. Ma mère essaya pendant plusieurs jours de paraître forte, de nous choyer Solal et moi, car nous étions encore en vie. Mais en même temps, j'avais l'impression qu'elle trouvait injuste que nous soyons encore en vie et pas Nuna. Et un jour...

Zéphyr resta stoïque. Ce n'est pas qu'il retenait ses larmes, on aurait dit qu'il n'arrivait pas à ouvrir les vannes. Ce n'était pas qu'il était sans cœur, loin de là. 

Il avait l'air de ne pas savoir comment exprimer ses émotions. 

Je me rendais bien compte de la douleur que provoquait ses souvenirs. Mais aussi combien cela lui coûtait de tenter de mettre des mots sur ces événements si horribles. Il secoua sa tête et se reprit, parlant plus bas.

– Je disais, un jour ma mère a voulu en finir. Je crois qu'elle était trop mal, et mon père s'était également renfermé sur lui-même. Elle s'est suicidée.

Zéphyr s'arrêta sur ces mots, qui me fit froid dans le dos. Il l'avait dit avec une telle dureté, une telle souffrance, on pouvait ressentir sa peine et sa colère autour de nous. 

La réalité l'accablait, à tel point que j'avais envie de lui prendre ce poids. 

Le libérer de sa tristesse. Il avait les yeux perdus dans le vague, sans doute à repenser au visage de sa mère. Il mit un certain moment à poursuivre, Miller et moi comprenions pourquoi.

– J'avais neuf ans à l'époque. Depuis ce jour, j'ai continué de fouiller dans les dossiers de mon père. Mais plus seulement pour m'amuser, surtout pour trouver des informations, quoi que ce soit sur cette île et le lien qu'elle avait avec Nuna. Mon père, lui, s'est renfermé dans son travail et nous a laissés seuls, Solal et moi. Alors que c'était le moment où nous avions le plus besoin de lui. Il ne faisait jamais attention à moi, alors j'ai pu fouiller avec beaucoup de discrétion. Mais je n'ai vu le dossier sur Ewa qu'une seule fois. Quand je suis revenu pour y rechercher d'autres informations, il avait changé de place. Depuis, je n'ai rien d'autre sur lui. Mais je me souviens de cette marque, celle que tu portes. J'en ai vu deux autres. Elles sont au dos de la feuille, me dit-il en désignant le document que j'avais toujours dans la main.

Quand il avait pointé le bout de papier, sa main tremblait. Je ne relevais rien, je ne voulais surtout pas lui faire encore plus de peine.

Je retournai la feuille et vit deux autres dessins. Tous les deux de couleurs noires, mais le premier plus fin que le mien, malgré le même symbole au centre. L'autre était au contraire plus épais, avec des petits traits partant du milieu en plus.

– Amy, me supplia Zéphyr. Tu étais là-bas, n'est-ce pas ? Je t'en prie, il faut que tu me dise si tu as vu Nuna. Une petite fille au teint blanc, avec des cheveux roux bouclés et des yeux bleus. Un visage rond, un nez retroussé. Elle était maigre, mais toujours joyeuse. Une tache de naissance derrière l'oreille. Elle devait avoir un an de moins que toi. Et que sont devenus les expériences comme toi ? Où sont les autres survivants de l'île ? Est-ce que... est-ce que ma petite sœur est encore en vie ?

Mutante - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant