Chapitre 24-1 : Bout de papier

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Je buvais de la soupe. Depuis une heure, mes canines n'arrêtaient pas de me faire souffrir. Quand Jay, Hekiah et Ella virent que je n'avais pris que de la nourriture molle, ils me demandèrent pourquoi, amusés. Ils savaient que j'adorais les aliments croustillants.

– J'ai mal aux dents, avais-je expliqué.

Ils avaient tous rigolé, sauf Lucy. Elle me regardait gravement. Elle avait compris que c'était en train de bouger.

– Tu fais tes dents en retard, plaisanta Jay. Dents de sagesse ?

Je lui fis un sourire en réponse. C'était vrai que je n'avais jamais enlevé mes dents de sagesse. L'orthodontiste m'avait annoncé que je n'en avais pas le besoin, alors j'utilisais cela comme excuse.

Jay avait un gros bandage autour du bras. Il avait combattu Isaac avec ses armes. Il s'était pris un coup de la chaîne d'Isaac, et avait donc un bel hématome sur le bras ainsi qu'une grosse coupure. Jay avait utilisé ses bâtons et avait réussi à vaincre difficilement son adversaire.

Mais c'était l'indien qui en avait le plus pris. Il frimait disant que c'était une blessure de guerre. Ella n'arrêtait pas de le taquiner là-dessus. Moi, encore une fois, j'étais perdue dans mes pensées.

J'attendais avec impatience ce qu'arriverait à trouver Miller sur l'incident de l'île d'Ewa. Cela faisait à peine quelques heures mais j'étais déjà à bout. Je n'arrêtais pas de bouger, incapable de rester en place. Jay avait réessayé d'aborder le sujet de ce qu'il s'était passé après le combat, mais j'utilisais toujours la même excuse, de plus Lucy m'aidait à les convaincre.

Nous avions fini de manger, je m'éclipsai rapidement et discrètement. Je souhaitai bonne nuit à tout le monde et montai dans ma chambre. Là je m'asseyais sur mon lit. Je n'avais pas envie de faire grand-chose, tout me désespérait, même la lecture.

Je sortis alors mon téléphone et un miroir de poche. Je comparais la photo qu'avait prise Lucy quelques heures auparavant et mes dents grâce au miroir. On ne voyait pas de différences, mais j'étais tout de même persuadée que mes canines avaient grandies.

Je soupirai en rangeant mon miroir et parcourus mes photos. La plupart se composaient de mes délires avec Lucy ou les animaux que je voyais. Il y avait aussi dans les plus anciennes, Mana, la chienne de Lucy morte il y a deux ans. Elle avait à peine quatre ans et était morte d'un abcès. Ses parents l'avaient ramenée de leur « voyage autour du monde » qui était en fait un voyage pour tenter de retrouver Gale.

J'ouvris un autre dossier, intitulé « Papa ». C'était les photos que j'avais pu récupérer de maman. Je regardai, détaillant chaque trait du visage de mon père, ce que j'avais si souvent fait. Il avait plutôt le visage carré, les yeux noir et blanc, des cheveux bruns, un gros nez.

Sur une autre photo, plus vieille, il avait de la barbe et portait Caligo dans son dos. Les larmes commençaient à me monter aux yeux, alors je clignais pour les faire disparaître. Une fois toutes les photos (très peu) passées en revues, je décidai de récapituler tout ce que j'avais.

Je dégageai mes notes de cours disposées sur mon lit et déposai ce que j'avais comme indices sur mon père. D'une part, Caligo. D'autre, l'adresse de Roxanne Sorn, l'experte en Scriatés. Il y avait aussi le livre, que le défunt libraire m'avait donné.

Puis le bout de papier et la lampe que m'avait donné Miller. Chaque chose avait un lien avec mon père. Oui, c'était le plus logique. La personne qui pouvait avoir appris à Roxanne Sorn à lire les Scriatés avait de grandes chances d'être mon père. Et puis il serait facile de vérifier en demandant à Roxanne. Bon, ça je pourrais le faire en sortant d'Hélios.

Ensuite, Caligo. Ça, je ne pouvais pas en tirer grand-chose, mise à part l'intriguant coutelas au bout du manche. Je me demandais bien à quoi il pouvait servir. Cela me fit penser au manuscrit, celui que nous n'arrivions pas à ouvrir. Mais c'était ma mère qui l'avait.

Je pris une feuille et notai tout ce que je devrai faire après Hélios. Ensuite, le livre en Bois d'Ambre. Il n'avait rien de spécial, mise à part le fait qu'il soit écrit en Scriatés. Enfin, je crois. Il avait l'air tout de même plus épais que les manuels normaux. Je bondis alors du lit et allai toquer à la porte de Lucy.

– Moui ? demanda-t-elle en baillant, déjà habillée dans son pyjama.

– Je peux t'emprunter ton manuel d'Études des Livres D s'il te plaît ?

Ma meilleure amie fronça les sourcils et alla le chercher.

– Qu'est-ce qui se passe ?

– Je voudrais le comparer au mien, répondis-je.

Les pupilles de Lucy s'éclairèrent.

– Tu veux de l'aide ?

Je secouai la tête.

– Non, ne t'inquiète pas. J'essaye de faire du tri dans toutes les pistes que nous avons, mais je risque de tergiverser pendant longtemps. Ça serait ennuyant pour toi et puis tu fais déjà énormément.

– Tu me dis si tu as une nouvelle, déclara Lucy en baillant à nouveau.

– Oui, ne t'inquiète pas, répondis-je, amusée. Tu as l'air crevée, repose-toi.

Lucy me fit un petit sourire et referma la porte. Je retournai dans ma chambre et dépliai son manuel à côté du mien. Je commençais à examiner page par page, cherchant une différence entre les images ou les textes. Mais elles étaient toutes identiques au paragraphe près. Au bout de la quatre-vingt-troisième page, je fulminai depuis un bon moment.

– Bon sang, marmonnai-je, il n'y a rien de plus.

Je continuai pendant encore longtemps, alors que l'heure convenable pour se coucher était déjà largement dépassée. Je baillai une nouvelle fois et continuai de lire les pages, une main sur mon visage. A force de la mettre dessus, j'avais une belle trace, on aurait dit que je m'étais prise une gifle. J'arrivais presque à la fin quand je vis que mon livre avait plus de pages. Je continuai et arrivai à la dernière page du manuel de Lucy.

Alors qu'après la dernière présentation d'un Livre D, son manuel contenait quelques pages sur lesquelles étaient inscrits des logos et autres, mon livre contenait de nombreuses pages blanches.

Il y en avait à peu près plus d'une dizaine.

Je me rendis compte alors qu'une des pages était dépossédée d'un morceau. Les mains tremblantes, je me saisissais du bout de papier que m'avait donné Miller. Je le mis dans tous les sens et enfin, il colla parfaitement avec le reste de la feuille.

J'avais trouvé d'où venait ce petit bout de papier. Je cherchai du scotch dans ma trousse et rattachai le papier à sa page. Une partie de moi s'indigna de devoir mettre du scotch dans un livre si beau, avec des pages si épaisses et soyeuses.

Une fois le bout rattaché, je m'attendais à ce qu'il se passe quelque chose, mais rien ne vint. Je poussai un cri exaspérant et retombai en arrière sur mon lit. La lampe de chevet était juste à côté de moi et j'eus une idée.

Je l'éteignais, n'étant maintenant éclairée qu'à la faible lumière de la lune qui passait à travers la fenêtre. J'allumai alors la lampe que m'avait donné Miller et le cœur battant et avec des mains hésitantes, j'approchai la lampe des pages.

Des formes blanches apparurent sur les pages jaunes.

Mutante - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant