Dissonances

47. Interférences

Ça fonctionne.

Jane montre des signes de décontraction : de un elle s'est rassise, ce qui fait que sa tête n'apparaît plus aussi démesurée sur l'écran 27 pouces. De deux, son front n'est plus sillonné de rides de la profondeur de cratères lunaires.

- Wow, c'est bien ça ! Au moins maintenant, tu seras plus tout le temps toute seule, commente-t-elle, gagnée par mon enthousiasme qui est plus un genre d'extase réfrénée.

Est-ce que par miracle, j'aurais réussi à lui faire avaler mon scénario aussi facilement ?

- Elle te ment. Sa journée a été terrible, questionne-là encore ! fait soudain une voix masculine que je ne connais pas, de l'autre côté de l'écran.

- Qui a dit ça ? je lance, sur la défensive.

- Hein ? réplique mon amie, étonnée.

- Qui est avec toi Jane ? je répète, irritée par sa lenteur de traitement de l'information.

- Personne, pourquoi ?

Sérieusement ? À quoi elle joue ? Impossible que ce soit Henri. Absolument impossible même. Jane ne lui parle plus. Et ce n'est pas Justin ni Florian.

- T'écoutes la télé, la radio ?

- Non, pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe Hay ?

La perplexité s'imprime en majuscules sur son front. Elle est sincère. Mon amie ne sait pas mentir.

Je réalise alors mon erreur. Les cheveux de ma nuque se hérissèrent d'excitation contenue. Parce que j'ai toujours navigué entre deux langues, je ne fais pas de différence que l'on s'adresse à moi en français ou en anglais. Je traite les mots par automatisme. Le même phénomène vient de se produire à l'instant.

Sauf que c'est ce dialecte bizarre que les Voixpartagent qui est sorti du haut-parleur de l'ordinateur !

Je jugule ma fébrilité et m'empresse de rassurer Jane :

- Oublie ça. Il y a eu un genre d'interférence.

Satie émet un bref jappement. Je sursaute. Je m'immobilise, l'oreille tendue. Des pas pesants font vibrer l'escalier extérieur et le timbre de la sonnette d'entrée ponctue la dernière marche. J'expire : ce n'est qu'un humain !

OMG, j'ai vraiment dit ça ?!

- Attend-moi Jane, ça vient de sonner.

- Hay, non ! Qu'est-ce que t'as entendu ?

Bravo Haydn ! De toutes les choses que tu aurais pu lui dire, c'était possiblement la pire que de suggérer avoir entendu une voix qu'elle-même n'a pas perçue !

- T'occupe pas. Ça devait venir du visiteur, dehors.

Suspicieuse devant ce mensonge malhabile – genre OK c'est bon, tu t'en tires pour cette fois –, elle change néanmoins de sujet.

- T'attendais quelqu'un ?

- Non... Merde ! Oui ! J'avais promis à Esteban de l'accompagner chez Helena ! On se voit plus tard, je te Skype demain OK ?

- Parle à ce garçon. Il connaît bien ton amie et pourra lui apporter son soutien.

- Non Hay ne te déconnecte pas ! Présente-moi ton Esteban !

Oh. Shit.

Mon estomac se tape une chute de vingt étages.

L'esprit vient de formuler un conseil à Jane. Sur la manière de m'aider. Et tout à l'heure, il lui a dit que je mentais. Comment l'a-t-il su ? Et comment peut-il être au courant des liens qui m'unissent à Jane et à Esteban ? Ce n'est donc pas un hasard s'il se trouve près de Jane présentement ? Ils sont reliés ? Les questions ricochent sur les parois de mon crâne sans accrocher de réponse.