La Fille Gelée et la Face Cachée

Ni blanc, ni noir

        Aïkida en profita pour détailler de nouveau celle qui se faisait appelée la Grande Chamane. Son crâne légèrement bombé était seulement recouvert d'un petit centimètre d'épaisseur de cheveux bruns et crépus, mettant ainsi en valeur son œil gauche d'un bleu clair, presque blanc. Son iris était cristallin, nacré et perturbant pour quiconque le regardait trop longtemps. La clarté de cet œil contrastait avec la sombre couleur de sa peau marron, marquée par les années et le soleil. À ses oreilles, pendaient deux grands anneaux en bois, dont un était agrémenté d'une plume d'un bleu perçant qui descendait jusqu'à frôler son épaule frêle. En effet, cette femme était menue, sa peau était flétrie sur ses os tandis que ses deux mains fripées semblaient deux araignées prolongées par ses ongles longs. Son corps fin et petit était en partie dissimulé par sa tunique orangée, recouverte de motifs qu'Aïkida n'avait jamais vu, et dont elle abandonna d'essayer d'en comprendre le sens. Peut-être n'y avait-il pas d'ailleurs.

— Je t'écoute, déclara-t-elle de sa voix presque chevrotante mais pourtant vibrante d'une autorité naturelle et d'un charisme inconditionnel.

Wanda avait enfin levé ses yeux vairons de sa tasse, et fixait désormais la jeune fille qui la visitait. Cette dernière n'était pas à l'aise, mais n'en laissa rien paraître.

— J'aimerai envoyer un courrier à la Vallée, mais je pensais que vous apprécieriez si je vous en demandais la permission, mentit-elle.

Aucune réaction ne se peignit sur le visage neutre de la vieille femme. Elle resta immobile, sans rien répondre. Aïkida continua alors, tentant de ne rien laisser paraître de son inconfort de plus en plus grand :

— Il s'agit simplement d'informer Nàmo que nous avons retrouvé Emelï et que tout va bien. Je ne dévoilerai pas où nous sommes, et éviterai les détails. Alex nous a prévenu quant au fait de ne rien révéler à personne sur le clan. Vous pourrez même lire la lettre vous-même pour vous en persuader. Je veux simplement les rassurer, ils ne pourront pas répondre s'ils ne connaissent pas le lieu.

Wanda resta silencieuse, et but simplement une gorgée de sa boisson odorante.

— Je vous en prie, ajouta la Fille Gelée à contre cœur.

Supplier n'était pas dans ses habitudes.

        La Grande Chamane n'avait pas quitté l'Ilewite des yeux, gardant le silence. Cette dernière se tortilla sur sa chaise, luttant contre l'envie de se tordre les mains de nervosité. Elle était loin d'être à l'aise sous ce regard qui ne laissait rien transparaître, si ce n'était un appui prolongé et une analyse profonde. Elle ne savait pas quoi faire, quoi dire, et restait là, à subir les yeux vairons.

        Aïkida commençait à perdre patience tandis qu'elle sentait une sourde colère monter en elle. Elle détestait être en position de faiblesse, et plus encore lorsqu'on se jouait d'elle. Mais alors, après une attente qui lui avait paru aussi longue que l'éternité, Wanda répondit simplement :

— Soit. Apportez-moi ce courrier dans les prochaines heures, il sera envoyé ce soir.

Et sans un mot de plus, la Grande Chamane se leva, laissant sa tasse fumante sur la table de bois qui avait séparé les deux femmes, et se dirigea vers la porte qu'elle ouvrit en grand.

        Aïkida fut quelque peu sonnée par la situation qui lui échappait. Elle ne s'était pas attendue à une réponse positive, encore moins après une attente si malaisante, et elle n'avait pas le temps de digérer sa surprise qu'on la mettait déjà à la porte.

        Mais ne voulant pas faire d'histoire, la Fille Gelée se leva, en silence elle aussi, alla dans le couloir qui menait à l'extérieur et passa la porte en inclinant légèrement la tête comme signe de remerciement. À peine eut elle passé le seuil que le panneau de bois claqua dans son dos. Eh bien ! Décidément, cette femme n'est pas claire dans sa tête.