Chapitre XXXVII

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« Place ! cria le capitaine de la garde. Place devant le roi ! »

Ils traversaient un village. Pas grand-chose, un rassemblement de bicoques aux murs de terre ou de torchis. Parfois, rarement, une bâtisse en pierre. Ici, même les temples manquaient de grâce, à ciel ouvert ou creusés dans des collines. Et il semblait que l'on trouvât dans ce pays davantage de bûcherons et de fermiers isolés que de véritables bourgs.

Cristal avait beau connaître Welvenfal à présent, elle avait beau savoir que la cour du roi Aldric était moins barbare que ce qu'elle avait craint, ce qu'elle voyait défiler par la fenêtre du carrosse la jetait dans un profond désespoir. La capitale n'était jamais qu'une grosse ville. Une grosse ville de campagne. Exempte de tout ce qui passionnait la princesse.

La roue de la voiture plongea dans une ornière et souleva une gerbe de boue. De violents orages avaient éclaté la veille en fin de journée et avaient encore grondé durant une bonne partie de la nuit. Le sol était détrempé, parsemé de grandes flaques brunâtres et la chaleur de la matinée faisait rejaillir l'humidité à grosses bouffées moites.

À l'écart de la route du convoi, des paysans hirsutes les regardèrent passer. Il y eut quelques « Vive le roi ! » et beaucoup de regards inquiets. Eyled remua à côté de la princesse. Elle fut un peu écrasée, tout cet attirail guerrier prenait tant de place. Il ne s'excusa même pas. « Eh bien, dit-il, d'habitude, la populace est plus enthousiaste lorsque le roi rentre chez lui.

-Ils ont peur, répondit Léoric. Ils ont dû entendre parler des querelles entre les familles royales et appréhendent d'en voir surgir les conséquences. Notre retour pourrait très bien signifier la guerre.

-La guerre, c'est l'occasion de mourir en brave. »

Celui-ci correspond tout de même fort à l'idée que je me faisais du barbare, songea Cristal. Elle crut même discerner une œillade d'Eyled dans sa direction. Cette tentative de démonstration de courage était-elle donc une manière de se pavaner devant elle ?

« Mais ce sont leurs demeures qui brûlent, leurs familles qui souffrent, répondit son aîné, plus mesuré. Tout le monde n'a pas la chance d'habiter un château de pierre juché sur une falaise.

-Bon, de toute façon, il n'y aura pas de guerre, pas vrai ?

-Eh bien... Aymerad a su se montrer raisonnable. »

Le prince Léoric prit la main de lady Amelyn dans la sienne et la serra. Exaspérée, Cristal détourna les yeux. Cette complicité, cette délicatesse, elle les aurait peut-être trouvées charmantes en d'autres circonstances. La princesse comprenait à présent ce qu'avait dû ressentir Amelyn en accompagnant le cortège lyvalien vers Havre-Noble. Quoi de pire que d'être triste et entouré de gens heureux ?

Quoi de pire ? Eh bien, se coltiner en outre un nouvel Abel Malvaux.

En effet, depuis quelques jours, le prince Eyled s'invitait parfois dans le carrosse. La princesse avait d'abord convié lady Amelyn à partager son véhicule. La jeune femme, en véritable amie, se montrait très compréhensive vis-à-vis d'elle et échappait ainsi elle-même à l'encombrante présence de lord Malvin. Ensuite, Léoric était parfois venu la rejoindre. Et enfin, son frère, Eyled, avait trouvé judicieux de l'imiter. Pas pour profiter de la présence de lady Loredall, assurément. Et Cristal craignait le pire. Il lui jetait souvent des coups d'œil par trop appuyés.

Une rage, proche de la haine, s'emparait d'elle à chaque fois qu'elle songeait à Aymerad. Son frère était l'unique responsable de cette situation. Des gens, elle en détestait, ça oui, mais personne à ce point-là. Il l'avait punie. Il l'avait condamnée. Pire que devenir une princesse barbare, Cristal était vouée à être leur otage. Et, depuis qu'elle avait vu son véritable visage, elle imaginait sans peine qu'Aymerad puisse l'oublier là, dans sa prison sans barreaux, pour le restant de ses jours.

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now