Chapitre XXX

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Tout est de ma faute...

Le paysage, à travers la croisée, contrastait avec son humeur. La pluie qui avait lavé le pays tout au long de la nuit s'apaisait sous la clarté blanche du soleil matinal. Les nuages crevaient, s'effilochaient et faisaient courir leurs ombres sur les champs et les forêts dans une fuite éperdue vers l'horizon. Le ciel avait cessé de pleurer quand Léoric n'avait plus assez de larmes à verser. La lumière reprenait ses droits quand le cœur du prince ne paraissait plus battre que dans l'obscurité.

Amelyn est partie et Tristifer se meurt... et tout est de ma faute.

L'aimait-il avec trop de passion ? Car c'était bel et bien l'amour qui l'avait poussé à se mesurer au prince rival. Un duel. Un duel jusqu'à l'abandon... Certes, Aymerad avait tué son chien. Ceci dit, ça n'avait été que la dernière goutte, la goutte de trop. Il devait se l'avouer, voilà un petit moment que la perspective de lui mettre un bon coup d'épée en travers de la figure le démangeait. Toujours sur nos talons, toujours mielleux avec lady Amelyn, toujours cet air supérieur sur le visage... Et, en vérité, il ne parvenait pas à regretter de l'avoir défié. Il déplorait surtout de ne pas lui avoir donné une leçon. Peu importait l'avis des rois, il aurait dû le livrer lui-même, ce combat. Certes, il serait peut-être mort, mais la mort ne valait-elle pas mieux, finalement ? Au creux de sa poitrine béait un tel vide ! Il en avait le tournis.

Voilà une semaine qu'elle était partie, avec son frère et tout le cortège royal lyvalien. Une semaine... une éternité. Ils s'étaient retrouvés le matin du départ, en catimini, sous le vieux kiosque de grès rose des jardins. Juste avant qu'ils ne fussent séparés, Léoric avait eu le temps de lui donner ce rendez-vous. Le prince avait presque passé toute la nuit à patienter sur cet îlot au milieu de l'étang, adossé à la pierre, ruminant, incapable de croire à la réalité des événements. Et, sous son nez, l'arbre à serment...

Lady Amelyn ne lui avait pas fait défaut. Enveloppée d'un long manteau sombre, elle était arrivée bien avant les premières lueurs du jour. D'abord elle l'avait accablé de reproches, elle avait vidé son sac et même, la rage lui avait fait frapper la poitrine du prince. Léoric s'était laissé faire. Secrètement, il avait été heureux, d'une certaine manière, de voir à quel point elle était affectée. Une bien faible consolation. Mais la moindre étincelle de soulagement était bonne à prendre.

Ensuite, à mesure que la nuit s'achevait, ils avaient longuement discuté. Il croyait même se rappeler qu'ils avaient ri... mais pas beaucoup. Une piètre tentative de lui remonter le moral. À vrai dire ils avaient surtout pleuré. La jeune femme avait froid et le prince l'avait prise dans ses bras. Pour rien au monde il n'aurait désiré la lâcher. Il en avait profité pour s'enivrer du parfum de ses cheveux. C'était la première fois qu'ils partageaient une telle intimité... et probablement la dernière.

Enfin, lorsque le ciel avait commencé à s'éclaircir, ils s'étaient résignés à la séparation. Alors, Léoric lui avait offert son cadeau. Ce pendentif dont le joyau était taillé en forme de larme avait tout à coup paru horriblement de circonstance. Amelyn s'était pressée contre lui et l'avait embrassé, tendrement, tristement. Ses lèvres étaient douces et chaudes... Un moment qu'il aurait désiré prolonger indéfiniment. Et, avec un déchirement au cœur, ils étaient retournés vers le château, vers ce destin cruel qui, après les avoir tout juste réunis, s'évertuait à les éloigner l'un de l'autre.

« Oh, mon Léo, comme je te comprends, vibra la vieille voix de la Reine Blanche.

-Tu comprends ? Vraiment ? » Léoric secoua la tête. Ses yeux, bien que taris pour l'heure, exprimaient une tristesse sans fond. « Mais je veux le tuer, ce prince...

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now