Chapitre III

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C'était le dernier jour d'Ultime. Ce soir avait lieu la fête du printemps et avec l'aube viendrait l'année nouvelle.

La faim, la fatigue, la douleur, le froid. Chacun de ces maux, Léoric se les appropriait. Il les goûtait comme une expérience nécessaire, un enrichissement par l'épreuve, en somme une quête de soi. Le fer n'endurait-il pas le choc du marteau et la morsure de la flamme avant de devenir épée ? Ainsi se considérait-il, tel un matériau brut connaissant le processus de l'affinage, prêt à être forgé, façonné.

Père l'avait chapitré avant le début du Daeraborn. Un soir après le souper, il l'avait convié dans l'antichambre où il aimait se trouver seul lorsqu'il ressentait le besoin de réfléchir, les mauvais jours ou avant la prise d'une décision importante. « C'est autant une manière de prouver son mérite qu'un moyen de mieux se connaître, fils, lui avait-il dit. Le Daeraborn n'a rien d'insurmontable en vérité, après tout, une chose n'est difficile que si tu la considères comme telle. Autrefois, avant l'empire, chaque jeune homme de chaque clan passait l'épreuve afin de se montrer digne d'en porter les armes. Or la tradition a beau s'être lentement perdue dans ce royaume, les gens se souviennent. Et tu as raison, ils ne t'en serviront qu'avec plus de ferveur.

-Tristifer prétend que c'est avant tout ma propre confiance que je vais consolider.

-Et il a raison également. Comment un homme pourrait-il espérer s'accomplir sans avoir la considération de ses semblables ? La réputation est une chose essentielle. C'est elle qui détermine comment les autres réagissent aux actes que tu poses. » Son regard s'était détendu. Père souriait avec les yeux. « Sache que quoi qu'il arrive je suis fier de toi. N'oublie pas ce que les dwynaths nous enseignent : tout a une raison, la vie et la mort, la victoire et la défaite. Le Daeraborn est de ces expériences riches d'enseignements pour qui sait se montrer réceptif. Tâche d'en tirer le meilleur parti. »

Léoric connaissait l'attachement de son père pour les anciennes traditions. L'empire avait apposé sa marque, modifié les esprits. Le tristanisme s'était glissé dans son sillage et avait gagné jusqu'à certaines provinces de l'antique Helmdal. Voilà trois générations que la maison royale avait elle-même abandonné ce rite ancestral et sa résurrection à travers son héritier comblait le roi de joie.

Autant la chasse ne lui avait guère laissé le loisir de réfléchir, autant la veille, à présent, était l'occasion pour Léoric de se remémorer les mots de son père, de s'adonner à l'introspection, d'assimiler les récents événements et de les mûrir.

En effet, les conditions s'y prêtaient, car nulle distraction ne venait le détourner de cet exercice. Un silence épais régnait. La cellule était exiguë, plongée dans une obscurité glacée. Les pierres irrégulières des murs et du sol s'étaient gorgées de froid tout l'hiver. Les cellules de méditation ne connaissaient ni la lumière ni la chaleur. En outre les arêtes saillantes des dalles grossièrement taillées lui meurtrissaient les genoux. En fin de compte, la réflexion était encore le meilleur moyen d'occuper son esprit et Léoric n'y trouvait guère de difficulté, encore tout à l'allégresse d'avoir surmonté ce qui lui semblait le plus ardu.

À vrai dire, il avait appréhendé la chasse. Bien sûr, il avait déjà traqué le gibier avec Père, les Bluteynirs, ses frères, il savait suivre une piste, du moins si le temps n'était pas trop sec, et il tirait mieux à l'arc que cet ours d'Eyled. Mais les conditions imposées par le Daeraborn étaient tout autres. Pour toute compagnie, il avait pu se choisir deux chiens, de cette race croisée avec les loups qu'affectionnaient les Helmïns. Bise et Hardi avaient eu sa préférence, un couple qu'il connaissait depuis qu'ils étaient chiots. Pour toute arme, il disposait d'un couteau à lame courte, pour la peau, davantage un outil qu'une arme, ainsi que de deux épieux. Des pointes de bois durcies au feu qu'il s'était lui-même taillées lors de sa période d'isolement : une journée de jeûne passée dans une hutte en dehors de la ville, à l'écart de toute communauté.

L'empire de la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant